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petits ? Il poussera la charité jusqu’à vous dire que vous devez vous estimer bien heureux, car il y a des serpens plus gros que le vôtre, et qui sont encore plus prolifiques. Vos études de philosophie vous profitent, on le voit ; votre dernier écrit était excellent, on y sentait un progrès dans le dessèchement de votre âme qui fait honneur à votre application Vous êtes vraiment un nouvel Hercule ; comme vous avez travaillé à dessécher en vous ces marécages de la foi, si féconds en hydres et en dragons ! Voilà que maintenant ils ont un air de steppes russes, on peut s’y promener sans craindre les fondrières ; encore quelques coups de hache, et les derniers ombrages étant tombés, vous aurez le bonheur de recevoir d’aplomb sur la tête, et sans en perdre un seul rayon, la lourde lumière du jour ! — Ne trouvez-vous pas qu’Hawthorne a raison de parler bas, et de vous chuchoter à l’oreille ces étranges complimens ? Notez encore une fois qu’il n’a pas la moindre envie de vous offenser, et que jamais chez lui on ne surprend une de ces intentions agressives qu’on surprend chez un Swift ou un Voltaire. Cette absence de haine, pour qui sait comprendre, est peut-être encore plus blessante que l’absence d’amour.

J’ai dit que l’amertume d’Hawthorne était sans mélange et sans compensation d’aucune espèce. D’autres misanthropes par exemple ont connu le rire ; Hawthorne l’ignore absolument. Jamais il n’a un rayon de cette lumière profonde qui répand sur les œuvres les plus sombres un air de santé, et qui donne un air de fête au cachot où l’âme est renfermée. Je ne sais qui a pu confondre assez aveuglément les qualités du génie humain et perdre assez complètement le sentiment des nuances pour dire qu’Hawthorne était un humoriste. Hawthorne a de l’esprit (wit) et de la fantaisie ; il n’a à aucun degré cet épanouissement joyeux du cœur, cette cordialité intellectuelle, cette expansion inattendue de sympathie, ces boutades amicales, mélange complexe de bonne humeur et de colère que les Anglais décorent du nom d’humour. L’âme d’un humoriste est semblable à ces temps que le thermomètre qualifié de variables, et pendant lesquels, selon le proverbe populaire, le diable bat sa femme ; l’âme d’Hawthorne est à la misanthropie fixe. Jamais le mépris tranquille ne fut la substance de l’humour ; les humoristes ont des querelles de ménage avec l’humanité, mais l’amour, un amour chaud, inaltérable des hommes, est le fond de leur esprit. Donc Hawthorne ne rit pas. Quelquefois il essaie de sourire, mais son sourire est si triste qu’il nous afflige plus profondément encore que son amertume ; on devine que ce sourire lui a coûté trop d’efforts. L’habitude des sentimens tristes semble l’avoir rendu impuissant à exprimer les sentimens heureux du cœur et les fêtes de la nature. Dans toutes ses couvres, je n’ai rencontré qu’un seul vrai rayon de printemps, la