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petite nouvelle intitulée David Swan. Jamais la douce joie, jamais même l’aimable abandon ne viennent une minute éclairer cette physionomie taciturne que lui donnent ses portraits et entr’ouvrir ces lèvres qui, paraît-il, aiment à rester muettes, même dans l’intimité et la société de ses amis les plus chers. Nous n’avons aucune peine à croire qu’Hawthorne mérite le compliment que lui adressa Emerson à la fin d’une soirée où il s’était entretenu obstinément avec ses chimères lugubres et n’avait pas pris part aux conversations de ses amis du cénacle transcendentaliste : Hawthorne rides well his horse of night ; Hawthorne chevauche bien son cheval nocturne.

Le talent d’Hawthorne présente une énigme indéchiffrable en apparence, mais qui, avec un peu d’attention, peut se résoudre assez facilement. Tous les caractères de ce talent sont ceux des époques les plus avancées. Il a l’amour morbide des singularités qui distingue les esprits blasés, le goût intelligent des raretés qui distingue les collectionneurs de race. Il a les bizarreries et les caprices de tous ces types des sociétés ennuyées en quête de sensations nouvelles. C’est un casuiste, un amateur de curiosités, un horticulteur de plantes excentriques. Il ne traduit que les sentimens des âmes en ruines, les scrupules des consciences raffinées qui ont dépassé les limites les plus extrêmes de la civilisation. Il n’a rien de vigoureux, de populaire, et je dirai volontiers de plébéien. — Quoi ! se demande-t-on d’abord avec étonnement, c’est la jeune et démocratique Amérique qui nous envoie ces fleurs étranges qui ne poussent que dans les sociétés où se sont accumulées les ruines, et que nous aurions crues particulières aux vieilles civilisations ! — L’étonnement cesse cependant quand on se rappelle à quelle race et à quelle société appartient Hawthorne. Hawthorne appartient à la vieille Amérique, et non à la nouvelle, à l’Amérique des puritains et des fondateurs de la république. Tout démocrate qu’il soit et tout socialiste qu’il ait été, Hawthorne est de race aristocratique, il a des ancêtres et une généalogie : il est un des derniers descendans de ces austères et vigoureux pharisiens, grands brûleurs de sorcières, grands fouetteurs de quakers, grands traqueurs d’hérétiques et de libertins, qui « posèrent sur le roc les fondemens de la Nouvelle-Angleterre. » Dans la préface d’un de ses romans, M. Hawthorne a raconté leur histoire, et s’est plu à engager avec eux un dialogue à travers le gouffre du temps. Il a représenté ces ancêtres regardant avec mépris ce dernier-né de leur forte race et se disant : Quel est donc ce ménétrier, ce joueur de violon, ce baladin ? et qu’est-ce que cette manière d’adorer et de servir Dieu en ce monde !? « Mais, ajoute M. Hawthorne, qu’ils me maudissent tant qu’ils voudront, et qu’ils pensent de moi ce qui leur plaira : quelques-uns des traits les plus vigoureux de leur caractère ont passé en moi et se sont mêlés à ma