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Le lecteur sent vivement ce reproche indirect, s’avoue mentalement sa faute et se promet de n’y plus revenir. Il pose le livre et n’y revient plus, s’il a de l’esprit et s’il est exempt de pédantisme ; il y revient infatigablement, s’il a une nuance de pédantisme, sans s’étonner un seul instant de rencontrer des professeurs d’archéologie et d’éloquence là où il espérait trouver des amis. Ainsi tous les goûts sont satisfaits, et tout est pour le mieux dans le plus faux des genres littéraires possibles. Telle est mon humble opinion sur le roman esthétique ; je la donne sans avoir le moins du monde l’impertinente prétention de vouloir l’imposer à personne. Si donc les romans esthétiques vous plaisent, vous pouvez à votre aise continuer à pratiquer ce plaisir, dans lequel je n’éprouverai jamais le désir de vous troubler, et je vous prie de ne pas m’en vouloir.

Cependant les impressions d’un penseur éminent sur les arts, la nature et la religion auront toujours un très grand intérêt, et l’opinion que nous avons exprimée, portant exclusivement sur le genre dans lequel ces impressions se présentent, n’enlève rien à leur mérite. Les observations et les pensées d’Hawthorne sur l’Italie, les arts italiens, l’art en général, sont telles qu’on pouvait les attendre de son esprit fin et subtil. Il pénètre les surfaces et va chercher l’âme cachée des choses, mais un peu à l’aventure et avec une hésitation qui indique que l’auteur n’est pas absolument sûr de lui-même. Il s’écoute parler, propose ses opinions sans hardiesse, à demi-voix, et tout à coup s’interrompt comme s’il craignait de s’être trop avancé, et qu’il redoutât le jugement de ceux auxquels il s’adresse. On sent dans ses opinions, comme dans celles de tous ses compatriotes sur les arts, une certaine faiblesse intrinsèque qui résulte d’une lacune première dans l’éducation, lacune que les circonstances historiques de l’Amérique ont creusée, et que les esprits les mieux doués de ce pays auront longtemps de la peine à combler. Ce n’est ni la profondeur ni la finesse d’esprit qui manquent à Hawthorne pour comprendre exactement certaines grandes choses, c’est l’habitude. Ni l’esprit, ni même le génie, ne valent l’habitude que donne l’éducation pour connaître la valeur des grandes œuvres d’art. Rien ne peut remplacer cette éducation première, pas même la sensibilité la plus exquise. Un enfant de l’Europe, d’un jugement ordinaire, d’une âme sans grande portée, d’une sensibilité sans finesse, battra Hawthorne sur ce terrain. Je ne veux pas dire qu’il comprendra mieux que lui l’essence et le but de l’art ; il ne les comprendra pas du tout peut-être., mais il se trompera moins sur les produits de l’art, et ne tombera pas dans les mêmes erreurs de détail. Après avoir écouté avec curiosité, avec admiration peut-être les opinions esthétiques de Hawthorne sur l’art en général, il reprendra tout son avantage dès qu’on passera aux applications particulières