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et à l’appréciation pratique des œuvres. Il s’étonnera que les noms des peintres cités par Hawthorne soient des noms de troisième, et de quatrième ordre, celui de Guide par exemple ; « Vous vous laissez tromper, lui dira-t-il, par des procédés et des artifices et vous êtes victime de votre sensibilité. Vous admirez Guide : voulez-vous en savoir la raison ? C’est qu’il donne à votre sensibilité des émotions qui ne la déroutent pas trop et qui la flattent sans la surprendre beaucoup, des émotions qui ne sont pas trop éloignées de celles qui lui sont familières. Vous l’admirez, parce qu’il vous engage à l’admirer d’un ton insinuant, câlin, qui sent le flatteur et le courtisan. Toutes ses têtes se penchent vers vous avec les sourires les plus encourageans et implorent votre sympathie et votre pitié. Vous les leur accordez, et cela est fort bien ; mais recherchez pourquoi, et vous verrez que c’est non parce qu’elles vous paraissent grandes mais parce qu’elles vous paraissent aimables. Guide n’exprime pas la beauté, mais la gentillesse, et c’est par là qu’il produit sur votre sensibilité une impression immédiate. Malgré vous, en entrant dans ce monde nouveau de l’art, votre cœur et votre esprit s’accrochent aux œuvres qui leur rappellent les émotions qui leur sont familières. Votre esprit et votre cœur ont besoin, pour sentir les arts de se faire de nouvelles habitudes. J’ai aimé comme vous Guide ou tel autre peintre du même ordre, parce qu’il me rappelait à mon insu des émotions que je venais d’éprouver avant d’entrer dans la galerie de peinture, que j’allais retrouver en la quittant. J’aimais la tristesse gracieuse de cette Vierge parce qu’elle ne m’emportait pas trop loin de la tristesse que je contemplais sur le visage de ma mère ; j’aimais le sourire de cette sainte, parce qu’il me rappelait le sourire de ma sœur ou de quelque objet de mes premiers rêves. Le charme a cessé bien vite, car je n’ai pas tardé à m’apercevoir que l’amabilité d’une peinture ne vaut pas l’amabilité d’êtres réels, et je suis allé aux œuvres qui pouvaient me donner des émotions exceptionnelles et idéales. Guide et ses pareils ont leur mérite cependant, mérite qui consiste dans leurs défauts mêmes, dans leur peu d’élévation ; ce sont des initiateurs, ils vous ouvrent les portes de l’art et vous font pénétrer pas à pas dans les splendeurs de son palais ; par les émotions moyennes qu’ils vous procurent, ils vous préparent à ressentir des émotions plus grandes. Votre opinion sur la faiblesse cérébrale et le vide d’esprit que laisse une promenade prolongée dans une galerie de peinture est aussi fort légère. Vous en concluez presque que la peinture est un art artificiel qui n’a rien d’humain ; mais j’ai remarqué que cette fatigue cérébrale, qui est réelle, tient beaucoup à deux causes principales : 1° la diversité des sujets et des styles qui se heurtent dans une même galerie, 2° la curiosité banale et hâtive, je dirais presque impudente, du promeneur qui croit convenable de