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Ce vin nommé rayon de soleil, propriété exclusive des comtes de Monte-Beni, dont les premiers verres inondaient le cœur de lumière et dont les derniers paraissaient fades, est tout à fait le symbole de cette idée, qui s’est comme évaporée dans les longues pages du récit. L’aventure de Donatello est presque celle de Hawthorne. Le génie qui lui est propre, méconnu par lui, trahi pour des descriptions de musées et de cathédrales, l’a abandonné comme les animaux des bois Donatello. Appelé, il a fait comme eux mine de s’approcher, et on l’entend bruire à travers les feuilles sèches des dissertations esthétiques, mais il n’a pas montré son visage.

Le livre a encore un autre défaut capital, il est obscur, et volontairement obscur, on ne peut démêler pour quelles raisons. L’existence des acteurs du récit est traversée depuis le commencement jusqu’à la fin par un secret qu’il nous est impossible d’expliquer au lecteur, car l’auteur ne l’a pas expliqué, et il a pris soin de nous prévenir qu’il ne savait pas bien lui-même en quoi il consistait. Nous savons bien que ces choses-là peuvent arriver dans la vie réelle, mais un roman est tenu d’être plus explicite que la vie réelle, et nous avons quelque peine à nous contenter des excuses qu’il présente au lecteur à la fin de son livre. « L’aimable lecteur, dit-il, ne nous saurait aucun gré, nous le croyons, d’entrer dans une de ces élucidations si ennuyeuses et en somme si peu satisfaisantes, qui ont pour but d’expliquer les mystères romantiques d’une aventure. Il est trop sage pour demander avec insistance à voir l’envers de la tapisserie, lorsqu’on lui en a suffisamment déployé l’endroit, tissé avec toute l’habileté dont l’artiste était capable, et adroitement placé sous la lumière la plus favorable à l’exhibition harmonieuse de ses couleurs. Si les effets produits sont beaux, brillans, ou seulement tolérables, ce modèle des aimables lecteurs voudra bien les prendre pour ce qu’ils valent, et ne pas déchirer la toile pour la stérile satisfaction de savoir comment elle a été tissée, car la sagacité qui le distingue lui aura depuis longtemps appris que tout récit d’action humaine ou d’aventure soit historique, soit romanesque, est une œuvre fragile, plus aisée à déchirer qu’à raccommoder. L’expérience actuelle de la vie la plus ordinaire est pleine d’événemens qui restent incompréhensibles ; et dont on ne sait comment expliquer soit l’origine, soit le but. » En vérité, l’obscurité qui règne dans le roman donne à réfléchir. Généralement les mystères n’existent que pour le lecteur ; mais ici ils existent pour l’auteur lui-même. Le romancier ne tient pas les fils qui font mouvoir les personnages dont il raconte les destinées. Il y a mieux : les acteurs du drame semblent ignorer eux-mêmes le secret des périls qui les poursuivent et des aventures qui leur sont tout à fait personnelles. Miriam elle-même déclare ne pas savoir au juste quel était le motif de la haine dont la poursuivait