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qu’ont connues les âmes innocentes l’assaillirent. Parce qu’elle avait été témoin du drame, il lui semblait qu’elle y avait pris part ; parce qu’elle avait vu le crime, il lui semblait qu’elle en était complice. Ce secret, trop longtemps gardé, la troubla bientôt comme un remords. Enfin un jour, à bout de forces, elle se traîna dans cette église de Saint-Pierre où sont semés de distance en distance des confessionnaux pour toutes les langues de la terre, où les hommes de toutes les nations peuvent venir chercher l’absolution de leurs fautes. Elle entra dans celui qui portait pour inscription : Pro anglicâ linguâ, et en sortit l’âme en repos et purifiée des appréhensions qui l’avaient torturée. Elle reçut dévotement, comme la catholique la plus fervente, la bénédiction du vieux prêtre qui avait entendu ses aveux ; mais lorsqu’il la pressa pour qu’elle complétât par une conversion l’action qu’elle venait de faire, Hilda refusa de trahir la religion de ses pères. Le bon prêtre n’insista plus, comprenant sans doute que l’acte d’Hilda était un acte poétique et charmant, inspiré à la fois par la nature et la grâce, et qu’il ne fallait pas flétrir par une pression maladroite sur la conscience.

Avant de cacheter ce long selam et de l’envoyer par-delà l’Océan au sagace Hawthorne, nous ajouterons un court post-scriptum à l’adresse du lecteur. Je sens que j’ai en quelque sorte des excuses à lui faire pour l’avoir entretenu si longtemps des écrits d’un homme qui n’aime à jouer que sur les cordes les plus plaintives, et je dirais volontiers sur la chanterelle du cœur humain. Pour moi, la lecture des livres d’Hawthorne a été une fête, mais pour le lecteur ? J’ai deux excuses à présenter : la première, c’est que le cœur humain ne contient pas seulement des sentimens sains, moraux et robustes, et qu’il en contient aussi de maladifs, d’équivoques et de malingres. L’expression de ces sentimens, pourvu qu’elle soit franche, sincère et vibrante, donne donc droit au titre d’homme de génie aussi bien que l’expression des sentimens les plus saints et les plus irréprochables, car elle ajoute une page à cette grande histoire du cœur humain que recommencent, corrigent et poursuivent de siècle en siècle les poètes et les écrivains. Désirez-vous un critérium infaillible qui vous permettra de mettre à sa vraie place un poète ou un écrivain, lorsque vous serez embarrassé de le classer ? Ne vous laissez pas abuser par l’étiquette des œuvres ni par la hiérarchie des genres ; ne vous demandez même pas si la nature des pensées et des sentimens exprimés vous plaît ou vous déplaît, et posez-vous hardiment cette question : L’auteur n’a-t-il fait que répéter ce qu’avaient dit ses devanciers, sans le corriger, sans y ajouter, ou bien a-t-il eu à dire quelque chose de nouveau qui n’avait pas été dit avant lui ; en un mot, a-t-il écrit quelques feuillets nouveaux des annales