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vouement ? Humboldt était un si grand personnage, et Varnhagen, sincère admirateur du talent, avait encore à cette date un faible si marqué pour les gens de cour, qu’un seul mot du glorieux chambellan devait remplir son cœur d’une double joie. Je ne veux pas dire que l’amitié de Humboldt et de Varnhagen n’ait eu d’autre mobile que la vanité ; j’indique simplement des nuances qui, en Allemagne, n’ont échappé à personne. L’amitié complète viendra plus tard, grâce à une véritable communauté de sentimens ; elle viendra surtout lorsque Varnhagen, privé de ses fonctions diplomatiques, se rapprochera des libéraux, tendra même la main aux démocrates, et donnera librement carrière à ses rancunes. En 1827, Humboldt n’est pas encore pour Varnhagen le confident des amères pensées ; c’est un savant illustre, le frère d’un ancien ministre, l’ami du prince royal, et lorsque ce personnage si haut placé écrit d’affectueux billets au mari de Rachel, celui-ci, diplomate fidèle à l’étiquette, lui répond toujours en style de chancellerie. Il en prend si bien l’habitude, notez ce point, que, trente ans après, il le traitera encore d’excellence, et n’omettra aucune des formules de cérémonie, au moment même où Humboldt, devenu sincèrement son ami, lui confiera familièrement ses pensées les plus secrètes.

Au milieu des complimens de Humboldt sur les écrits de Varnhagen, sur sa biographie de Zinzendorf, sur celle du savant médecin Erhard, nous trouvons des détails plus intéressans pour l’histoire littéraire ; ce sont, par exemple, les préparatifs de la publication du Cosmos. Le 27 octobre 1834, Humboldt écrivait à Varnhagen :


« Je commence l’impression de mon œuvre, de l’œuvre de ma vie. Le monde physique tout entier, tout ce que nous savons aujourd’hui des phénomènes du ciel et de la terre, depuis les nébuleuses jusqu’à la géographie des mousses sur les roches granitiques, j’ai eu la folle idée de décrire tout cela dans un seul et même ouvrage, et dans un ouvrage d’un style vivant qui provoque l’esprit et charme l’intelligence. Toute idée grande et importante, en quelque endroit qu’elle se soit fait jour, y sera consignée à côté des faits. Il faut que ce livre représente une époque du développement intellectuel de l’humanité dans sa connaissance de la nature. Les prolégomènes sont presque entièrement achevés, ils contiennent une rédaction toute nouvelle de mon discours d’ouverture, discours improvisé, mais que j’avais dicté de souvenir le jour même, le tableau de la nature, et les moyens d’éveiller le goût des sciences naturelles selon l’esprit de notre temps. Ces moyens sont de trois sortes : 1° poésie descriptive, description vivante des scènes de la nature empruntée aux récits des voyageurs modernes ; 2° peinture de paysage, représentation de la nature exotique par le dessin et la couleur, à quelle époque ce genre a pris naissance, à quelle époque il est devenu un besoin et une noble joie pour l’esprit, pour quel motif l’antiquité, si sensible aux arts, n’a pu connaître celui-là ; 3° les plantes, distribué