Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/831

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien loin de prétendre infirmer ces preuves en elles-mêmes. Nous disons seulement qu’elles sont incomplètes, faute d’un premier principe sur lequel elles s’appuient, et qu’on en énerve toute la force en les soumettant au jugement particulier de chaque homme, investi dès lors du droit de les admettre ou de les rejeter selon la nature de l’impression qu’elles font sur son esprit. » Vaine défaite en vérité ! Des preuves qui ne s’appuient sur aucun principe suffisant ne sont-elles qu’incomplètes ? Sont-elles des preuves au moindre degré ? Si elles ne s’appuyaient sur rien, comment se déclare-t-il « convaincu de leur solidité ? » Elles sont énervées, dit-il, « parce qu’on les soumet au jugement des hommes. » Il serait étrange que les hommes les reçussent sans les avoir jugées, c’est-à-dire sans savoir si elles prouvent ou ne prouvent pas ; il serait plus étrange encore qu’ils n’eussent pas le droit « de les admettre ou de les rejeter selon l’impression qu’elles font sur leur esprit. »

Quand bien même il serait vrai d’ailleurs que son nouveau principe, infusé dans une controverse mort-née, lui donnerait la vie, le nerf, l’autorité nécessaire, il n’en reste pas moins établi qu’avant lui cette controverse n’avait rien de tout cela ; dès lors il semble affirmer aussi que la preuve du christianisme date de lui, que les pères et les docteurs ont écrit tant de volumes sans y pouvoir mettre le premier principe qui aurait tout appuyé, et que toute la science théologique de dix-huit siècles manquait de fondement légitime. Comment d’ailleurs, s’il se comprenait lui-même, l’auteur de l’Essai sur l’Indifférence pensait-il pouvoir compléter l’une par l’autre deux méthodes si incompatibles : l’une établissant une révélation particulière par une enquête sur des faits particuliers arrivés telle année en tel lieu ; l’autre au contraire trouvant cette même révélation, non plus particulière, mais générale, avec tous ses dogmes essentiels, à l’origine même des choses, possédée et transmise par le genre humain tout entier ; — l’une s’efforçant de démontrer que les apôtres, n’ayant été ni trompeurs ni trompés, avaient par leurs miracles et par leur prédication dissipé à eux seuls les ténèbres antiques de l’idolâtrie ; l’autre montrant dans l’idolâtrie même le dogme total, quoique travesti, et subordonnant en quelque sorte la valeur du christianisme à sa conformité avec ce dogme universel du genre humain ? La réponse n’était donc pas sérieuse. En réalité, Lamennais n’accordait rien au passé, et soit qu’il enterrât franchement l’ancienne apologie, soit que par un subterfuge il voulût bien lui rendre l’existence en vertu d’un principe nouveau sorti de sa pensée, il prétendait toujours élever une œuvre nouvelle et fondamentale, donner à l’église une base qu’elle n’avait pas, et sans laquelle rien ne valait, rien ne subsistait : il la rendait, pour la première fois depuis sa naissance, acceptable à l’esprit conséquent qui