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sève est arrêtée. D’autre part, son esprit voulait à sa foi une base non arbitraire, mais raisonnable. Dans cette hâte et dans cette angoisse, il imagina un système qu’il se persuada être identique au catholicisme pris dans l’acception commune. Rassuré par cette création de sa pensée, il y trouva longtemps le repos du cœur, la jouissance mystique chère aux âmes méditatives, et une règle pour la volonté. Plus tard, l’action, la polémique, le succès, un grand rôle, lui refusèrent le temps et l’occasion de réviser sa découverte, qu’il lui était d’ailleurs plus doux de propager autour de lui. Lorsqu’enfin, trop impatient de voir introniser sa doctrine et de la mettre en possession de l’église, il eut rencontré dans l’autorité même qu’il croyait sauver un obstacle insurmontable, lorsque son activité, ses projets, ses espérances, se furent brisés sur l’écueil de la pratique, il se retrouva seul devant lui-même, s’interrogea, secoua son rêve, rentra dans sa pensée et la vit pour la première fois telle qu’elle était. Elle n’était point le catholicisme officiel dans lequel il croyait l’avoir fondue ; elle était un catholicisme plus vaste, dont le christianisme ne pouvait être qu’une des formes successives, la plus parfaite jusqu’alors, mais non la dernière. Alors lui apparut dans toute sa portée l’idée de transformation religieuse. « Nous assistons, écrivait-il encore à Mme  de Senfft, n’en doutez pas, au commencement d’une ère nouvelle, et c’est parce qu’elle est nouvelle que le passé nous paraît mourir, et qu’il meurt en effet, non tout entier, car en tout ce qui fut il y a une partie, un germe premier impérissable, mais dans ce qui, en lui, était assujetti aux conditions du temps… Cet homme, ajoute-t-il plus loin en parlant de Joseph de Maistre, ne pouvait se défendre d’un pressentiment magnifique ; un reflet de je ne sais quel resplendissant avenir, impénétrable à sa raison prévenue, avait plus d’une fois brillé sur le glaive qu’il tenait constamment levé sur le genre humain ; son œil apercevait ce que son cœur ne reconnaissait point, tandis qu’à d’autres le cœur révèle ce qui est encore profondément caché à leurs regards. N’écoutez que votre âme, elle vous rassurera sur les destinées futures des peuples : l’âge terrestre n’est point fini. »

Cette pensée avait-elle donc aussi dormi longtemps obscure et latente dans son système comme elle jaillissait dans les élans plus impétueux de Joseph de Maistre ? Ne faisait-elle, dans ce réveil soudain, que sortir de l’enveloppe où la conscience souffrante et craintive l’avait d’abord cachée ? C’est ce que nous avons fait pressentir plus d’une fois et ce qu’il nous reste à examiner de plus près.


LOUIS BINAUT.