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et de San-Salvador avec tous les témoignages possibles de considération et de concorde, et si le congrès de San-José, convoqué pour voter l’arrangement, ne se montrait pas aussi bien disposé, ce qui était fort probable, le président devait user de son ascendant pour obtenir au moins une majorité suffisante, sauf à justifier plus tard sa conduite par l’exposé complet des résultats qu’il aurait obtenus.

La première manifestation de ce parti-pris fut l’annonce d’un nouveau bal donné cette fois en l’honneur des représentans du Nicaragua et de San-Salvador. Le premier avait eu lieu le 7 avril. Quatre jours après tombait l’anniversaire de la bataille du 11 avril 1856 ; ce fut le jour choisi pour le second. On en faisait ainsi à tous les points de vue une fête nationale, à laquelle l’adoption supposée du traité Gass-lrizarri devait imprimer un caractère de protestation. L’opinion en effet était indignée de cette faiblesse du gouvernement nicaraguain, et, sans prévoir encore par quel moyen pratique elle échapperait aux funestes conséquences d’une telle conduite, elle sentait le besoin instinctif de se manifester, de se fortifier par l’union, d’en appeler au tribunal de toute l’Amérique centrale contre les actes compromettans d’une de ses républiques. On devine toute la force que donnaient à mes projets de pareilles dispositions pour le cas prévu où j’aurais à lutter contre l’exclusivisme américain. L’invasion légale qu’on redoutait avait fait naître la résolution froide de ne livrer San-José qu’en cendres, comme Moscou, à commencer par le palais national. Ce n’était heureusement qu’une fausse alerte. M. Jérès, comme tous les Nicaraguains, avaient été trompés par une manœuvre habile du président Martinez : ils avaient cru à l’acceptation du gouvernement lorsqu’il n’y avait encore qu’un vote du congrès de Managua ; mais cette erreur, qui ne fut reconnue qu’au Nicaragua même, replaçait Costa-Rica et son chef sur le terrain des mesures de salut public[1]. Le voyage projeté s’en trouva modifié dans son plan, élargi dans son objet ; il emportait l’idée d’une espèce de dictature morale allant trancher à Rivas, au nom de la patrie commune, le nœud gordien de la situation. C’est ainsi qu’il fut présenté en effet par une proclamation insérée le 15 avril dans le journal officiel, et lorsque le surlendemain le cortège se mit en route pour Punta-Arenas, où nous devions nous embarquer, si le traité Cass-Irizarri

  1. Un incident fera comprendre quelle signification avait alors le traité Cass-Irizarri aux yeux des Américains. Aussitôt que la fausse nouvelle de la signature fut connue à Aspinwall, le colonel Kinnoy rassembla ses amis et s’embarqua pour la seconde échauffourée de Grey-Town ; puis, dans la proclamation qu’il adressa aux habitans de cette ville en arrêtant leurs autorités, en s’emparant de la maison commune, il leur déclara que « le traité Cass-Irizarri ayant mis le Nicaragua sous la protection des États-Unis, il usait de son droit de protecteur en prenant désormais les rênes du gouvernement. »