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m’inspirait encore quelques inquiétudes, les pouvoirs donnés à M. Mora par le congrès et l’attitude décidée de son peuple ne me permettaient pas de craindre un échec.

Nous devions quitter San-José le 17 avril. Un décret avait investi le vice-président, M. Escalante, de l’intérim présidentiel. Le public était averti et les préparatifs étaient faits ; mais il s’était produit la veille, au sein du congrès, une explosion de mécontentemens qui semblait devoir tout remettre en question. Il s’agissait de la troisième lecture et de l’acceptation définitive du traité de limites sur les bases de la proposition Jérès. Les sacrifices que faisait Costa-Rica à un intérêt supérieur avaient paru exorbitans. Le bruit s’était même répandu que le gouvernement se ralliait à cette opposition, et en faisait un des ressorts de sa politique vis-à-vis du Nicaragua. Beaucoup de gens en concluaient que M. Mora n’avait pris encore aucun parti, et que le voyage pourrait bien ne pas avoir lieu. Toute la journée du 16 s’était passée dans ces incertitudes, dont, plus que tout autre, je suivais les oscillations avec anxiété. Le soir, on m’assura que le général Jérès, très inquiet de ces présages, avait fait une démarche suprême auprès du président, et qu’il l’avait ramené à sa première résolution. Le président avait donc insisté pour le vote immédiat ; mais le congrès ne pouvait se décider à cette trahison apparente. Des voix patriotiques avaient réclamé le maintien des prétentions de Costa-Rica sur la rive droite du San-Juan et sur la côte méridionale du lac, et ce n’était qu’à dix heures du soir, après une séance orageuse qui durait depuis deux jours, que le traité avait été ratifié. Encore n’avait-il pu réunir que sept voix contre cinq, — juste la majorité légale, — ce qui ne s’était jamais vu depuis l’avènement de M. Mora à la présidence.

Le matin même du 17, je ne savais donc trop encore si le départ aurait lieu, quand on vint me prévenir que le président montait à cheval avec son état-major, et que le rendez-vous était fixé sur le bord d’une jolie rivière qui coule au fond d’un ravin, à une demi-lieue de San-José. Je trouvai en effet tout le cortège arrêté sur un versant du ravin. M. Mora portait un poncho très élégant et un panama de prix ; mais rien ne le distinguait des autres cavaliers que des étriers d’argent massif, d’une forme vieille et originale. Autour de lui, ministres, colonels, magistrats, députés, semblaient faire assaut de simplicité. On eût dit de bons propriétaires ruraux revenant d’une foire. Les ponchos péruviens étaient rares, quoique ce soit le meilleur costume de voyage sur des routes poudreuses. Les militaires ne se distinguaient que par un grand sabre de cavalerie et par un large galon d’or sur un chapeau de feutre gris. Il y avait parmi eux de véritables attitudes de mousquetaires, grâce à leurs