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n’appartenait point à la diplomatie ordinaire. C’était l’effort suprême de deux hommes de cœur pour échapper à l’étreinte de l’ennemi commun et compléter l’œuvre de salut qu’ils avaient commencée ensemble sur les champs de bataille. Cette situation si grave, dont j’étais informé depuis Grey-Town, m’avait fait prendre, en partant pour San-José un mois auparavant, des précautions qui n’avaient pas été inutiles. M. Antonin de Barruel avait accepté la mission de se rendre à Managua pour y préparer le terrain, et il n’avait pas quitté le président depuis cette époque. C’était grâce à cet auxiliaire que j’avais pu décider le général Martinez à une démarche tellement dangereuse à ses yeux, qu’il n’avait osé quitter Managua que de nuit, sans avertir personne, accompagné d’un seul de ses ministres[1]. Une lettre que m’avait remise le général Bonilla m’assurait des excellentes dispositions du président Martinez, qui m’avait déjà écrit à San-José quelques mots pleins de promesses. C’est sous ces auspices que le cortège costa-ricain descendit à San-Juan-del-Sur, première étape de mon exploration à travers le Nicaragua.

Le port de San-Juan-del-Sur est une crique étroite, de la forme d’un croissant, bordée d’une marge sablonneuse tellement épaisse qu’elle suppose un ressac continu et peu de sécurité pour le mouillage. Aussi trois coques de navires jetés à la côte et abandonnés pour avaries témoignaient-elles seules de l’occupation de ce port par le commerce. Le Colombus avait jeté l’ancre à un mille au large. Les sables s’entassaient en mamelons de plusieurs mètres de hauteur, et s’avançaient jusque sous les maisons de la rive, bâties sur pilotis très élevés, sans doute en vue de cette inondation. Une demeure américaine en fer, plus menacée que les autres, était comme dressée sur des échasses. La ville se composait de ces quelques, maisons espacées sur la plage et d’une longue rue droite partant du milieu du croissant pour aller rejoindre le chemin de la Virgen, rue solitaire, bordée de baraques ouvertes, mais vides, au milieu d’une nature vigoureuse, mais flétrie par un soleil de feu. De cinq cents habitans, il en restait à peine soixante. La circulation et la vie avaient disparu avec le transit. L’établissement de la compagnie était encore debout, mais aussi abandonné et aussi misérable que le reste. La maison en fer, appartenant à une agence californienne, ne montrait plus que ses murs oxydés. Évidemment la guerre civile avait passé par là. Je rencontrai cependant un indigène qui se bâtissait une nouvelle baraque. Je lui demandai pourquoi il ne

  1. Lorsque M. Mirabeau-Lamar apprit à Grenade la non-signature du traité, il entra dans la plus violente colère, et menaça publiquement le pays et son gouvernement d’une prochaine invasion de flibustiers, qui cette fois serait définitive… Le fait a été consigné dans un procès-verbal signé de plusieurs témoins.