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Pont-Audemer, qui tenait aussi pour la fronde, partit, un beau jour de février 1649, de Pont-de-l’Arche avec huit cents chevaux ; il se dirigea sur la ville ostensiblement menacée, et trouva sur sa route une députation d’avocats et de bourgeois beaux diseurs dont il interrompit les harangues en leur demandant si, oui ou non, la ville lui ouvrirait ses portes, et sur leur réponse équivoque : « Eh bien ! dit-il, vous allez m’accompagner et voir ce que je sais faire. » Il continua d’avancer ; mais à une demi-lieue de Pont-Audemer il tourna brusquement à droite et se porta au trot sur Quillebeuf, dont quinze kilomètres seulement le séparaient. Faire mettre pied à terre à sa troupe, la diviser en trois colonnes, donner l’assaut à la place, tout cela ne prit qu’un instant : la garnison fit des prodiges de valeur ; la ville n’en fut pas moins emportée, mise au pillage et brûlée. La députation de Pont-Audemer, témoin des procédés administratifs du comte, se hâta d’en dire son avis à ses compatriotes, et ils se soumirent sans se faire prier davantage.

Enfin, en 1674, Quillebeuf faillit devenir, aux mains des Espagnols et des Hollandais, la place d’armes d’une conspiration à laquelle l’histoire a donné le nom du chevalier de Rohan. Des débauchés ruinés, des ambitieux déçus, des niais importans, des femmes égarées avaient rêvé le renversement d’un gouvernement qui mettait leur suffisance et leur cupidité à l’étroit, et pour arriver à leurs fins ils n’avaient pas reculé devant un pacte avec l’étranger. On devait livrer aux Hollandais Quillebeuf, où ils se seraient fortifiés, soulever la Normandie, se porter rapidement avec quatre cents chevaux sur le château de Saint-Germain, alors dépourvu de garde, enlever le roi, et après cette capture, des débats dont le pays aurait été l’enjeu se seraient engagés. La mine fut éventée, et on la fit éclater sur les conspirateurs eux-mêmes. Latréaumont, gentilhomme normand qui avait été l’âme du complot, se fit tuer les armes à la main, et le 28 novembre le prince Louis de Rohan, le chevalier de Préaux et Mme de Villars, qui l’aimait, eurent la tête tranchée sur la place de la Bastille. Un vieux philosophe hollandais, Van den Enden, dont Spinoza avait été le disciple, avait été près d’eux l’agent du vice-roi des Pays-Bas ; arrêté au moment où il partait pour Bruxelles, il ne fut point admis à partager les honneurs de leur échafaud, et fut pendu, en qualité de roturier, à côté d’eux. On ne versa pas d’autre sang : quand l’instruction entrevit l’étendue des ramifications du complot, elle ne commit point la faute de les mettre au jour et s’arrêta. Louis de Rohan avait été le favori de la jeunesse de Louis XIV, quelquefois même son rival, et pour suggérer au roi un acte de clémence, on fit, dit de Thou, jouer Cinna devant lui ; il répondit qu’il pardonnerait volontiers un attentat contre sa personne, mais jamais un complot avec les ennemis de l’état.