Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 28.djvu/923

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plateau de la Haute-Normandie qu’en remontant la vallée de la Risle. La coupe du terrain s’y montre en mainte place comme dans une élévation géométrique. Les prairies qui en tapissent le fond reposent sur l’argile brune qui sert de base à la formation. Arrosées par les eaux limpides qui suintent de la couche des calcaires superposés à l’argile, elles serpentent comme un large ruban vert entre les talus du plateau. Ces pentes, quand elles sont douces, se couvrent de moissons qui jaunissent sous l’ombre incertaine des pommiers ; plus rapides, elles se garnissent de bois ; quand elles sont abruptes, elles cachent leurs escarpes blanchâtres sous une large draperie de thym, de bruyère et de plantes odorantes. Des teintes de pourpre jettent une décoration méridionale au milieu de la fraîcheur du paysage normand, et donnent crédit à la prétention qu’a le pays d’avoir autrefois possédé des vignes. La Risle cependant, resserrée entre les talus de ses berges d’argile, coule sur un lit de gros galets marins qui paraît s’étendre au loin sous tout le sol de la vallée.

En suivant la vallée de la Risle, on ne tarde pas à rencontrer Pont-Ademer. Ce port avait au moyen âge une importance maritime qui devait se fonder sur des circonstances hydrographiques fort différentes de celles qui l’entourent aujourd’hui. La pêche du hareng y florissait au XIe siècle, et la Neustria Pia nous apprend qu’il était fort renommé pour la salaison de ce poisson[1]. Lorsqu’on 1122 le duc Henri, premier du nom comme roi d’Angleterre, prit et brûla Pont-Audemer révolté, les habitans, dit la chronique de Siméon de Durham, enfouirent, pour les soustraire au pillage, leur or, leur argent, le poivre, le gingembre et autres marchandises exotiques : il y avait donc alors un commerce établi entre la Normandie et l’Orient, et Pont-Audemer en était un des foyers. Pour qu’il en fût ainsi, il ne fallait pas qu’on dût chercher l’entrée de la Risle au travers du marais embrumé qui la masque aujourd’hui ; on la trouvait alors au fond d’une jolie anse dont les rives inclinées n’avaient point le pied engagé dans un banc d’alluvions spongieuses, et les marées qui se heurtent à Pont-Audemer contre un barrage de 4 mètres de hauteur remontaient beaucoup au-delà ; leur jeu plus puissant pouvait maintenir la liberté du chenal intermédiaire. Le

  1. On a opposé ce fait, entre beaucoup d’autres, à ceux qui ont proclamé Beukels, le pêcheur de Biervliet, inventeur de l’encaquement du hareng, à Charles-Quint surtout, qui lui fit élever un tombeau. Il est peu surprenant que ce prince, qui pensait à tout et ne négligeait rien, trouvant Biervliet sur son chemin, ait songé à en tirer parti pour flatter une prétention des Flamands. Beukels est mort en 1347, et les archives de nombre d’anciens monastères témoignent qu’on y recevait longtemps avant sa naissance des barils de harengs.