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rivière qu’ils comparèrent à l’Orne. Ce rivage leur fut hospitalier, et ils y passèrent six mois. Déjà pourvus d’une certaine organisation sociale, les indigènes étaient assez avancés pour comprendre les avantages d’une civilisation supérieure à la leur ; ils aspiraient à se les approprier, et Arosca, leur roi, confia son fils Essoméric à Binot-Paulmier pour le faire instruire dans les arts des chrétiens. La promesse de le ramener ne fut pas tenue : le sieur de Gonneville ne put engager ses compatriotes dans une seconde expédition ; mais il adopta Essoméric, lui donna son nom et le maria à une de ses nièces, dont l’arrière-petit-fils, chanoine de Lisieux, a recueilli tout ce qui reste de notions sur l’expédition de 1503. Cette expédition est probablement la première qui se soit donné une mission scientifique ; elle avait emmené à cet effet « maistre Nicole Lefébure d’Honfleur, curieux et personnage de savoir, qui pourtraya les façons de force bestes oiseaux, poissons, et aultres choses singulières inconnues en chrétiensté. » Par malheur, Binot-Paulmier n’a pas dit, et probablement il n’a pas su, à quel point de la mer des Indes il avait tourné vers le sud. On commettait de son temps d’étranges erreurs de longitude, témoin Christophe Colomb et ses premiers imitateurs, qui se croyaient aux Indes-Orientales quand ils étaient en Amérique. Quelle était donc cette terre nouvelle où les Honfleurois abordèrent ? On a prétendu que c’était l’Australie ; mais l’Australie est près de deux fois plus loin du Cap que l’Europe ne l’est de l’Amérique, et sa hideuse population indigène ne ressemble en rien à celle qui fit un si bon accueil à nos compatriotes. Ce dut être une peuplade malaise que visita Binot-Paulmier, et la terre où il descendit ne peut guère être autre que celle de Madagascar ; mais on n’en saurait revendiquer pour lui la découverte : les Portugais y étaient débarqués le 10 août 1503, c’est-à-dire moins de deux mois après son départ de France.

L’expédition du sud était à peine de retour à Honfleur qu’il s’en préparait une autre pour l’ouest. Jean Denis descendit en 1506 à Terre-Neuve, et de là vint toucher au Brésil, près de Paraïbo, dans une anse qui a conservé le nom de Port des Français. On était alors à une de ces époques où toutes les bases des destinées sociales s’élargissent. Le port d’Honfleur n’aurait pu prendre part aux expéditions lointaines qui signalèrent le XVIe siècle, s’il n’avait pas été en possession d’un matériel puissant et d’un personnel d’élite : sa marine était le principal véhicule de nos relations avec les peuples riverains de l’Océan, et elle entretenait des rapports si étroits avec l’Espagne et le Portugal, qu’au milieu du XVIe siècle la ville donna chez elle le droit de bourgeoisie à tous les habitans de la Péninsule. Les guerres de religion arrêtèrent ce mouvement, qui reprit