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superflu servaient à créer sous les murs de Trouville un refuge pour la navigation et un point d’appui pour la défense de la Seine, tous les intérêts qu’alarme la première entreprise se coaliseraient pour le succès de la seconde : heureux encore si, quand le bassin sera fait, la prédilection qu’inspirent trop souvent les créations ingrates ne condamne pas l’administration à un allongement irréfléchi des jetées ! Les avantages nautiques du mouillage du Banc-Cabeux et le maintien de la plage[1] qui fait actuellement la fortune de Trouville seraient alors singulièrement compromis.

En attendant de plus hautes destinées, Trouville est un des bons ports de pêche côtière de la Manche. Il possède soixante bateaux calant en moyenne 25 tonneaux, et ce nombre tend à augmenter. Le bateau équipé revient à environ 18,000 francs, et son produit annuel équivaut à sa valeur en capital. Ce produit se divise en deux moitiés, l’une pour le bateau, l’autre pour l’équipage, composé de cinq hommes et d’un mousse. L’entretien et la dépréciation annuelle du matériel ne comptent pas pour moins de 4,000 francs. Le produit brut de la pêche de Trouville est de 1 million à 1,200,000 francs. Les matelots qui s’y livrent sont renommés pour leur hardiesse, et tiennent les eaux de la Manche orientale pour un domaine de leur dépendance. La pêche de Trouville ne doit pas faire oublier son humble voisine de Villerville. Celle-ci n’a de refuge à son point de départ que la grève sur laquelle elle tire ses bateaux : deux hommes y forment un équipage, et ces embarcations trouvent sans sortir de la Seine assez de profits et de périls. L’on évalue les produits de la pêche de Villerville à 200,000 francs, dont un cinquième provient de la récolte des moules du banc du Ratier, faite à la main en vive-eau par les femmes du village. Il n’existe peut-être pas de plage mieux située que celle de Villerville pour l’exploitation de moulières en espalier semblables à celles de la rade de l’Aiguillon, si bien décrites par M. Coste.

Le salutaire usage des bains de mer s’approprie de proche en proche toute la côte du Calvados. À partir d’Honfleur, de nouveaux hameaux de baigneurs s’établissent chaque année en arrière des dunes doucement ondulées qui bordent d’anciennes anses transformées en herbages, ou dans les réduits des falaises dont les flots rongent les saillans. Cette route, raboteuse et variée, conduit à la

  1. La plage de Trouville s’abaisse d’une manière inquiétante pour les constructions riveraines. Ce mouvement tient à ce que les courans de flot lui enlèvent du sable et ne lui en rapportent plus, obligés qu’ils sont par les estacades du chenal de déposer à l’ouest celui dont ils sont chargés. Le moyen de rétablir la plage serait probablement la construction sur les Roches-Noires, qui la bordent à l’est, d’un épi qui retiendrait le peu de sable qu’amène encore le flot.