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dont on s’était tant promis, ne produisit en définitive que 18,000 dollars, le quart à peine de la somme nécessaire pour libérer Jefferson. Il fut assez heureux pour mourir avant de pouvoir se rendre compte de cette dernière et cruelle déception. À une maladie de la vessie dont il souffrait depuis plusieurs années vinrent s’ajouter, au printemps de 1826, les premiers symptômes d’une dyssenterie qu’il regarda tout de suite comme mortelle. Il fit son testament, mais ne changea rien à sa manière de vivre, s’obstinant, en dépit des siens, à continuer ses promenades solitaires à cheval et ses visites à l’université. Le 24 juin, se sentant fort affaibli, il manda son médecin, le docteur Dunglison. À première vue, celui-ci reconnut que le mal était sans remède. Jefferson consentit à laisser ses petits-enfans veiller alternativement auprès de lui. Jusqu’au 3 juillet, il resta en pleine possession de ses facultés, parlant d’un ton serein, à ceux qui l’entouraient, des luttes auxquelles il avait pris part, des calomnies dont il avait été l’objet, de ses vœux pour l’université, de son amitié pour Madison, racontant avec grâce, presque avec gaieté, certains épisodes de la révolution, donnant d’affectueux conseils à tous les membres de sa famille, sans oublier les plus petits, mais silencieux sur la grande question de la vie à venir. Déjà bien près de sa fin et tombé dans un état habituel de somnolence, il fut réveillé en sursaut par quelque bruit, et crut que M. Hatch, le pasteur de sa paroisse, demandait à entrer. « M. Hatch, dit-il, c’est un bon voisin, et, comme tel, je n’ai nulle objection à le voir. » C’était la veille du 4 juillet 1826, le cinquantième anniversaire de la déclaration de l’indépendance, à laquelle son nom reste glorieusement attaché ; sa famille, ne pouvant plus songer à le conserver, espérait du moins qu’il vivrait assez pour voir encore une fois ce beau jour. Lui-même ne paraissait pas tout à fait étranger à ce désir. Vers les cinq heures du soir, croyant voir apparaître l’aube, il demanda si c’était le 4. — Bientôt, lui répondit-on. — Il se rendormit ; mais son sommeil était agité par le souvenir des grandes scènes de sa jeunesse. Tout à coup il se releva sur son séant, et, faisant mine d’écrire :, — Prévenez le comité de sûreté, s’écria-t-il, qu’on se tienne sur le qui-vive ! — Lorsque minuit approcha, tous les assistans épiaient avec une solennelle anxiété la marche de l’horloge et le souffle de plus en plus faible du mourant. Son agonie se prolongea encore quelques heures : il expira à midi. Peu d’instans après, à l’autre extrémité des États-Unis, au moment où tous les cœurs en Amérique s’élevaient à Dieu pour célébrer la fête de l’indépendance, son compagnon dans les luttes contre la Grande-Bretagne, son concurrent dans les luttes pour la présidence, John Adams, le grand promoteur de la déclaration, s’éteignait à quatre-vingt-onze ans, en pensant, lui aussi, à