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se produire qu’en Allemagne. Nous ne sommes pas en Allemagne, nous sommes en Hongrie. Vörösmarty et Petoefi, c’est là une partie de l’intérêt qu’ils nous offrent, ne relèvent ni de l’Allemagne ni de la France, ni de l’esprit germanique ni de la tradition latine. Évitons, en parlant d’eux, des rapprochemens qui affaibliraient l’idée de leur mérite ; c’est avec les hommes de leur race qu’il faut les comparer. Or la différence qui sépare ces deux représentans de la poésie hongroise tient aux diversités d’esprit, d’inspiration, de culture, qui se retrouvent dans tous les temps et dans tous les pays. Vörösmarty est une intelligence grave et studieuse, Petoefi une imagination primesautière. Vörösmarty est le poète des académies, Petoefi le poète du peuple. L’un polit ses vers, combine ses effets, assortit ses images, appelle la rhétorique au secours de ses poétiques pensées ; l’autre, n’écoutant que son cœur, exprime ses émotions dans l’idiome franc et hardi de ses campagnes natales. Eh bien ! ces deux hommes, qui se ressemblaient si peu, qui s’adressaient à des auditoires si différens, qui se faisaient de la poésie un idéal si opposé, obéissaient en définitive à une inspiration commune. Pour le poète académique comme pour le chantre populaire, il s’agit avant tout de célébrer la Hongrie et d’entretenir dans les âmes de leurs compatriotes, avec le ressentiment de la servitude, l’invincible espoir de la délivrance.

Michel Vörösmarty a beau être très occupé des questions de forme, il ne perd jamais de vue sa patriotique mission. Au milieu des tableaux qui semblent le moins s’y prêter, on voit éclater sans cesse la pensée qui ne l’abandonne pas. Soit que, dans ses récits épiques, il chante les glorieuses périodes de la Hongrie, soit que, dans de brillantes strophes, il peigne le printemps, la nature, et maints tableaux de la vie moderne, il y a chez lui une inspiration continue, une, idée qui s’efface par instans, mais qui reparaît toujours : « la Hongrie a été grande, son passé répond de son avenir. Un tel peuple ne saurait mourir, et s’il meurt, il ressuscitera. » Voilà le fond de tous les ouvrages du poète. Au moment où les chambres hongroises, même, avant 1848, délibéraient si noblement sur les réformes qui devaient réveiller la vie nationale, les chants de Vörösmarty contribuaient à leur manière à cette éducation du pays. Chantre didactique, moraliste national, si je puis ainsi parler, il répandait sous une forme harmonieuse les idées que les orateurs politiques exprimaient dans les discussions de la diète. Souvent il s’inspirait de leurs paroles, plus souvent encore il leur prêtait son langage. Il a été bien jugé par M. Kertbény, l’écrivain hongrois dont nous avons déjà signalé les louables efforts pour initier le public allemand à la nouvelle poésie magyare. « Ses poésies, dit M. Kertbény, sont des discours de parlement. Que de fois ses illustres contemporains de la