tant de services rendus à toutes les nobles causes, malgré tant de bravoure et de talens supérieurs, l’histoire de cette vaillante race n’est qu’une longue suite de tragédies ; il semble qu’une impitoyable fatalité la poursuive, et l’on croit voir dans l’histoire d’une maison l’histoire de la Hongrie tout entière. Au milieu du XVIe siècle, l’homme qui avait porté si haut la puissance ottomane, le vainqueur de Mohacs, le conquérant de Rhodes et de Belgrade, Soliman II, vint échouer et mourir devant un Zrinyi. C’était en 1566. Les généraux turcs venaient d’être battus en plusieurs rencontres par les Hongrois, et ils avaient été forcés de laisser entre leurs mains quelques-unes des villes que Soliman avait prises. Soliman irrité veut laver en personne la honte de ses pachas, il rassemble une armée et va mettre le siège devant Sziget, place forte située au milieu des marais de l’Almos. La place était défendue par trois mille hommes à peine, mais ces trois mille hommes avaient pour chef Nicolas Zrinyi, comte de Serinvar. Attaqué par plus de vingt-cinq mille Turcs, le comte Zrinyi jure de ne livrer à l’ennemi que des ruines et des cadavres. Il commence par élever un gibet destiné au premier des siens qui abandonnera son poste ou qui parlera de se rendre. L’ardeur qui l’anime enflamme bientôt tous ses soldats, et chacun, sachant qu’il faut mourir, ne songe plus qu’à sauver la Hongrie, à retarder l’invasion du sultan, à lui tuer le plus de soldats possible, à frapper les autres d’étonnement et de terreur. Ce seront les Thermopyles des Magyars. La vieille ville, mal défendue par une faible muraille, est déjà entamée de tous côtés par l’artillerie ottomane ; tantôt s’élançant sur l’ennemi avec l’impétuosité de la foudre, tantôt combattant sur la brèche, les Hongrois tombent en détruisant des milliers d’hommes, mais la lutte est trop inégale : Zrinyi se décide à abandonner la vieille ville, il en renverse les maisons et les murs, et s’enferme dans les fortifications de la ville neuve avec ses troupes décimées. Un second siège recommence, toujours meurtrier pour les Turcs. Des renforts leur arrivent : Ali-Pacha, avec trente mille janissaires, essaie de détourner le bras de la rivière qui protège la ville neuve ; Zrinyi se jette sur eux, les surprend, et, profitant du désordre, en fait un effroyable carnage. Cependant les fossés sont comblés par les cadavres, et après maint assaut de jour et de nuit le nombre finit par l’emporter : Ali-Pacha, qui a pénétré dans la ville neuve, n’en sortira plus, ni le pacha d’Égypte, ni d’autres chefs, ni des milliers de janissaires frappés de mort par les soldats de Zrinyi ; pourtant la ville est prise, et le comte, qui n’a plus que six cents hommes autour de lui, va soutenir un troisième siège dans la forteresse. Nouveaux combats, nouveaux carnages. Soliman, exaspéré, fait parvenir au comte d’effroyables menaces,
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