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aux mains des Autrichiens en 1685, Hélène s’enferma dans la forteresse de Munkács avec son jeune enfant, s’y défendit trois années, puis, trahie par un de ses serviteurs, emprisonnée à Vienne, proscrite enfin et chassée d’Europe, elle alla mourir avec son mari dans les solitudes de l’Asie-Mineure. L’année même où elle rendit à Dieu son âme intrépide, son frère, le comte Balthazar, devenu fou dans sa prison, s’éteignait misérablement à Gratz. Ainsi périrent le dernier et la dernière des Zrinyi !

Maintenant qu’un poète comme Jean Garay essaie de rassembler dans un dramatique tableau toutes ces gloires et toutes ces infortunes d’une même race, comment s’y prendra-t-il ? Que faire pour être bref et complet ? S’il veut rendre l’impression que produisent ces tragiques annales, il faut que tous les traits de ce long martyrologe soient concentrés sur un seul point, il faut que l’accumulation des faits dans un récit rapide remplace et représente à l’esprit du lecteur la succession continue des désastres. Garay invente une scène originale : la dernière des Zrinyi, la comtesse Hélène, habite la forteresse de Munkács, qu’elle défend contre l’armée autrichienne. Assise dans sa chambre, elle feuillette un grand livre, un de ces livres d’annales domestiques comme les nobles familles hongroises en possédaient jadis, soit en prose, soit en vers. Ce sont les annales des Zrinyi. Ah ! que de pages lugubres ! que de feuillets marqués de noir ! Et pendant qu’elle consulte cette douloureuse et virile histoire du passé, l’histoire non moins triste du présent va terminer le sombre livre. Les pages noires s’ajoutent aux pages noires. Elle-même les tracera de sa main… Mais laissons parler le poète :


ZRINYI ILONA.

« A Munkács, dans le château-fort, est assise Zrinyi Ilona[1]. Auprès, au loin, toute la contrée est enveloppée dans la pourpre du couchant. Le fauteuil où elle repose, dévorée d’inquiétude et de douleur, encadre sa blanche robe des reflets sombres du velours.

« Devant le fauteuil, une petite table se dresse sur un pied doré, et sur la table est ouvert un grand livre in-quarto. La noble dame venait d’en feuilleter les pages ; son bras blanc comme neige repose encore sur le volume, mais bien loin, bien loin s’est envolé son esprit.

« Tout à coup elle relève son beau front entouré de boucles flottantes, et une larme a brillé dans ses yeux. Le soleil, avec toute sa splendeur, traverse souvent des nuages sombres et ne jette que des rayons brisés dans l’immensité de l’azur céleste.

« Inquiète, les yeux humides, le regard fixe, elle médite en silence, et les pleurs qu’elle dévorait finissent par rouler comme des perles sur ses joues…

  1. Hona, Hélène.