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loin de Raab avec une armée de soixante mille hommes, n’ait pas envoyé une partie de ses forces au défenseur de Sziget. L’empereur Maximilien II était alors à l’armée du comte de Salm ; faut-il croire que Maximilien, jaloux de la gloire du général hongrois, inquiet peut-être du salaire qu’il demanderait, des réclamations qu’il oserait faire au nom de son pays, ne fut pas fâché de le voir écrasé par les Turcs ?

Après Zrinyi, son petit-fils George Ier, ban de Croatie, joua un rôle dans la guerre de trente ans. C’était un homme loyal, intègre, au franc parler ; or, comme il avait maintes choses à blâmer dans la conduite de Wallenstein et de ses bandes, Wallenstein le fit empoisonner à Prague en 1626, au milieu d’un festin. Le fils de George, Nicolas Zrinyi, vainqueur des Turcs comme son grand-aïeul, fut victime comme lui des intrigues de la cour. Il était poète en même temps que soldat, à la manière des anciens Hongrois. « Tout le monde, dit M. Amédée Thierry, était poète chez les premiers Magyars… Non-seulement on était poète et chantre des actions des autres, mais on se chantait fréquemment soi-même, on chantait ses aïeux, et chaque grande famille eut ses annales poétiques. » Nicolas Zrinyi célébra la gloire de sa race dans un poème en quinze chants intitulé la Zrinyiade. On a de lui d’autres chants encore, des idylles, des épigrammes, une brochure imprimée sous ce titré : N’offense pas le Magyar (Ne bantsd a Magyart) ; ce vaillant homme était un des meilleurs poètes de son temps, et ses œuvres intéressent encore les Hongrois de nos jours ; il en a paru deux éditions à Pesth, l’une en 1817, l’autre en 1852. Ni la gloire militaire, ni la renommée poétique ne purent soustraire le comte Nicolas Zrinyi à la funeste destinée de ses aïeux. L’Autriche, qu’il avait illustrée et sauvée, ne fut pas plus reconnaissante envers lui qu’envers le héros de Sziget. Arraché au théâtre de sa gloire par les intrigues de Montecuculli, il se retira dans ses terres et mourut à la chasse. Fut-il assassiné ? fut-il tué par un sanglier sauvage ? Son histoire est fort mystérieuse ; ce qui n’est que trop certain, c’est l’ingratitude de l’Autriche et la persistance du malheur chez cette vigoureuse race. Le comte Nicolas était mort en 1664 ; sept ans après, le 30 avril 1671, son neveu, le comte Pierre, était décapité à Vienne pour avoir revendiqué les droits du peuple magyar. La fille du comte Pierre, Hélène Zrinyi, femme de François Rakoczi, et en secondes noces de l’audacieux Erhmerick Tékéli[1], connut aussi, comme les héros de sa famille, les plus grandes gloires et les plus grandes douleurs. Tékéli, qui se battait pour l’indépendance de son pays, étant tombé

  1. Tékéli, en hongrois Tököli.