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compagnie des Indes, George Turnour. Antérieurement les savans qui avaient, selon l’expression consacrée, restitué l’histoire de Ceylan omettaient environ une dizaine de siècles. Turnour, en se reportant aux sources, en étudiant, de concert avec un prêtre indigène, les manuscrits enfouis dans l’un des temples les plus anciens de l’île, parvint à recomposer la longue série de la chronique cingalaise et à établir la généalogie des cent soixante-cinq rois qui se sont succédé sur le trône de Kandy pendant vingt-trois siècles jusqu’à l’occupation anglaise en 1798. Avant lui, le passé de Ceylan était à peu près inconnu ; grâce à ses travaux, nous sommes en possession d’une histoire de cette île plus complète que celle d’aucun autre pays de l’Inde.

C’est un poème, le Mahawanso (Généalogie des Grands), qui forme le point de départ de ces chroniques, où le merveilleux et le surnaturel tiennent nécessairement une grande place. Par une coïncidence qu’il est plus aisé de signaler que d’expliquer, ce poème renferme des épisodes semblables à ceux que l’on retrouve dans Homère. Turnour a relevé ces curieuses analogies, qui attestent que les auteurs des premières légendes cingalaises s’étaient inspirés des chants grecs, colportés par les bardes voyageurs qui, traversant l’Asie-Mineure ou l’Égypte, transportaient en Orient les fables de l’antique poésie. Peut-être au contraire ces fables étaient-elles d’abord venues d’Orient en Grèce, et, revêtues d’une forme éternelle parle génie d’Homère, retournaient-elles à leur premier berceau. Quoi qu’il en soit, le Mahawanso a été écrit après l'Odyssée, et le vieil Homère conserve sa vénérable priorité.

On a peu de notions sur la population primitive de Ceylan. Ces sauvages, au dire des historiens bouddhistes, vivaient dans la plus complète barbarie : ils adoraient les serpens, pratiquaient toute sorte de superstitions, ne se livraient à aucun travail, et étaient presque toujours en guerre les uns avec les autres. Bouddha apparut parmi eux six cents ans avant notre ère : la légende dit qu’il fit trois voyages à Ceylan pour y prêcher sa religion, déjà très répandue dans l’Inde et destinée à s’étendre sur la plus grande partie de l’Asie ; mais ses prédications ne lui valurent que très peu de prosélytes, et elles étaient tout à fait oubliées, lorsque le premier conquérant indien, Wijago, opéra sa descente dans l’île à la tête d’une bande d’aventuriers. Cet événement se passait en 543 avant Jésus-Christ, date à laquelle commencent les récits du Mahawanso. Wijago était fils de l’un des petits rois qui se partageaient la vallée du Gange. Chassé de son pays pour ses méfaits, il mit à la voile vers le sud, débarqua à Ceylan, épousa la fille d’un chef indigène et fonda une dynastie qui occupa le trône pendant plus de huit siècles.