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Tel est le début de la légende cingalaise. Il est vrai que, suivant d’autres récits, Wijago était simplement le fils d’un négociant qui faisait le commerce entre Ceylan et l’Inde, et qu’il dut sa couronne à la gratitude des indigènes, dont il avait su, par d’habiles manœuvres et par des services rendus, se concilier les bonnes grâces ; mais il faut bien tenir compte des licences légendaires. Rien ne convient mieux pour le berceau d’un empire qu’un soldat heureux qui enlève une jeune princesse ; l’auteur du poème ne devait pas moins à la dynastie dont il chantait les nébuleuses origines.

Le gouvernement de Wijago et de ses premiers successeurs fut marqué par de nombreuses améliorations dans la condition intérieure de Ceylan. L’île fut partagée en une foule de petits fiefs distribués aux familles des chefs qui avaient accompagné le conquérant : on organisa le système d’administration communale qui était en vigueur au Bengale et dans les contrées les plus prospères de l’Inde. La culture du riz, jusqu’alors insuffisante pour nourrir la population, reçut des encouragemens, et ne tarda pas à excéder les besoins. Dès cette époque, on commença à construire dans les différentes régions de l’île des étangs artificiels qui favorisaient les irrigations, et dont les ruines excitent aujourd’hui l’étonnement du voyageur. En un mot, la conquête fut bienfaisante pour Ceylan ; elle y importa les mœurs agricoles et les habitudes commerciales. Exempte de fanatisme religieux, elle laissa le culte des serpens aux indigènes, pendant que les sectateurs de Brahma et les disciples, peu nombreux encore, de Bouddha se livraient à leurs paisibles pratiques. L’immigration indienne était attirée par ce régime de tolérance, qui accueillait et protégeait également toutes les religions. Telle était la situation de Ceylan au quatrième siècle avant notre ère, du moins s’il faut en croire les strophes du Makawanso. Même en faisant la part de l’exagération poétique, on doit admettre que les principaux traits du tableau sont exacts, et ne paraît-il pas singulier de voir triompher dans un pays jusque-là sauvage, et à une époque aussi éloignée de nous, les principes de saine administration que les nations les plus civilisées de l’Europe n’ont retrouvés et appliqués que si tardivement, après tant d’hésitations et de luttes ? Liberté de religion, liberté de commerce, liberté d’immigration, protection accordée à l’agriculture au moyen de grands travaux publics dont on admire encore les restes, voilà ce que possédait l’île de Ceylan aux premiers temps de la conquête. Cet état de choses peut nous donner une idée de la prospérité et des splendeurs de l’Inde dans la plus haute antiquité. La civilisation, comme le soleil, s’est levée sur l’Asie avant d’éclairer nos régions, et tandis que l’Europe demeurait plongée dans les ténèbres de la barbarie,