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commerce. En même temps ils lui envoyèrent plusieurs caisses de cannelle et l’invitèrent à une audience que sa majesté voulait bien lui accorder. La comédie fut jouée jusqu’au bout : un indigène complaisant s’affubla du titre et des ornemens royaux, reçut gravement le lieutenant de l’amiral et concéda aux Portugais la permission de construire une factorerie à Colombo. Muni de cette précieuse concession, l’amiral quitta Pointe-de-Galle, où les Arabes continuèrent paisiblement leur commerce ; il se borna à y planter une croix de pierre, ce qui, dans le langage du temps, signifiait une prise de possession au nom du roi de Portugal. Les projets sur Colombo furent ajournés jusqu’en 1517. Le gouverneur de Goa vint alors en personne réclamer l’exécution de la parole donnée par le faux roi : il exhiba son prétendu titre, débarqua ses soldats et s’établit dans la place. Voilà comment les Portugais posèrent le pied à Ceylan. Si l’on remontait à l’origine des actes de propriété en vertu desquels les Européens détiennent encore aujourd’hui la plupart des pays de l’Inde, on verrait que les pieux conquérans des XVe et XVIe siècles ne s’embarrassaient guère des difficultés de procédure et qu’ils se montraient fort peu soucieux de la régularité de leurs parchemins. Ceylan était de trop bonne prise pour que le gouverneur de Goa n’exigeât pas à son heure le paiement du billet que lui avaient souscrit les Arabes de Pointe-de-Galle, et que le malheureux roi de Ceylan se trouva obligé d’endosser. Dès ce moment, l’île était conquise à l’Europe.

Les Portugais eurent néanmoins beaucoup de peine à étendre leur domination au-delà de Colombo. Ils durent soutenir de nombreux sièges pour défendre leur nouvelle factorerie, et après avoir réussi à placer sous leur complète dépendance le roi de Ceylan, qui, ayant perdu son ancien prestige, ne possédait plus qu’une autorité nominale sur la plus grande partie de l’île, ils se virent exposés aux incessantes attaques des principaux chefs de l’intérieur et surtout du roi de Kandy. Pendant de longues années, la conquête leur fut onéreuse, et s’ils n’avaient été retenus par les moines, ils l’auraient peut-être abandonnée. En 1597, le dernier représentant de la dynastie cingalaise mourut à Colombo, léguant ses états ou plutôt ses droits au roi Philippe II. Cet événement, qui donnait à la domination du Portugal le caractère d’une propriété légitime aux yeux des populations indigènes, fit cesser momentanément la lutte. À l’exception de Kandy, qui, protégé par une ceinture de forêts et de montagnes, était destiné à demeurer longtemps encore l’imprenable rempart de la nationalité cingalaise, l’île presque entière reconnut l’autorité des Portugais. La capitale, Colombo, devint le centre d’un commerce important. Pointe-de-Galle entretint des relations actives