Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Fo ou d’Adam. Les pèlerins déposent des fleurs sous le tabernacle, s’agenouillent, prient, font résonner la vieille cloche, et boivent quelques gouttes d’eau sacrée puisée dans un torrent qui s’échappe au-dessous du sommet. À l’époque de leur domination dans l’île, les Portugais ont voulu chasser du pic les faux dieux et les superstitions orientales, en prétendant que le pied miraculeusement empreint sur la pierre était celui de saint Thomas ; mais le nom d’Adam est demeuré à la montagne, et les brahmes, comme les bouddhistes, continuent à adorer sous le même tabernacle la trace de leur dieu. Les uns et les autres entretiennent sur le pic d’Adam des rapports de bonne harmonie et de tolérance mutuelle qui n’existent pas toujours dans les lieux saints. Il est vrai qu’à cette hauteur, non moins périlleuse que sereine, les querelles religieuses seraient fort déplacées, et que la crainte du vertige ou d’un mouvement trop brusque doit donner du calme aux plus fanatiques croyans.

Je ne décrirai point, d’après sir J. Emerson Tennent, le magnifique spectacle dont on jouit au sommet du pic. Il m’est arrivé, comme à beaucoup d’autres voyageurs, de gravir de très hautes montagnes, et, après beaucoup de fatigue, j’ai invariablement découvert un très bel horizon quand il n’y avait pas de nuages. Ces sortes de descriptions, dans les récits des touristes, sont tout simplement des lieux-communs. Le déroulement des beaux panoramas, à mesure que l’on s’élève, n’a rien de surprenant. Ce n’est point par ces attraits terrestres que les montagnes font à l’homme un irrésistible appel. Peu importe qu’elles ouvrent à nos faibles regards des espaces plus étendus. Si haut que nous montions, nous rencontrerons toujours les barrières d’un horizon. C’est au ciel qu’il faut regarder quand on a gravi une montagne. Loin de souhaiter une vue plus grande de la terre que l’on vient de quitter, il vaut mieux avoir sous ses pieds un rideau de nuages et chercher au-dessus de soi une vue plus grande, plus profonde du ciel. En nous rapprochant de l’infini, les sommets satisfont à un impérieux besoin de l’âme ; ils troublent les sceptiques, courbent les orgueilleux, imposent à tous une épreuve salutaire de contemplation et de piété. Telle a été de tout temps la souveraine vertu des montagnes ; là seulement est leur véritable et indescriptible beauté. La religion hante volontiers les sommets, de même que le pic d’Adam, la plupart des grandes montagnes sont consacrées par une tradition pieuse, et elles s’élancent par-delà les nuages comme les colonnes d’un temple que toutes les croyances, toutes les religions, toutes les superstitions élèveraient en commun au Dieu du ciel.

Il est temps de descendre vers Colombo. Cette ville, beaucoup moins ancienne que Pointe-de-Galle, est la capitale de Ceylan. Elle