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doit sa prospérité aux Hollandais, qui avaient développé dans ses environs la culture de la cannelle. Colombo a conservé les avantages que lui assurent son titre de capitale, son port, son commerce étendu, sa garnison nombreuse, et le chiffre de sa population européenne, composée des principaux fonctionnaires et des plus riches négocians de l’île ; mais ses jardins de cannelle, autrefois si renommés, ont presque entièrement disparu. La cannelle est une puissance déchue. Naguère encore les voyageurs s’extasiaient devant ces belles plaines que couvraient les plants de cannelle, cultivés avec tant de soin et de luxe ; aujourd’hui les jungles, les lianes et la végétation parasite ont envahi le sol, et la cannelle ne vient plus qu’à l’état sauvage. L’histoire de la grandeur et de la décadence du célèbre arbrisseau contient une bonne leçon en matière de législation coloniale. C’est le monopole qui a tué la cannelle. Si les Portugais, les Hollandais, et même, après eux, les Anglais, s’étaient montrés moins avides dans l’exploitation de ce riche produit, s’ils avaient laissé la culture et le marché libres, Ceylan aurait conservé, avec sa supériorité naturelle, l’approvisionnement du monde entier, et les colonies rivales n’auraient pas été tentées de lui faire concurrence ; mais grâce au monopole, aboli seulement en 1832, les prix s’étaient élevés si haut, que les planteurs, dans toutes les régions tropicales, se sentirent encouragés à entreprendre une culture aussi profitable, et que, de son côté, le commerce rechercha les épices qui pouvaient avec plus d’économie répondre aux mêmes usages. La cannelle de Ceylan a succombé dans cette double lutte ; elle a vu grandir les plantations de Java, des Antilles, de Maurice, et elle est en partie supplantée par la casse, qui se vend beaucoup moins cher. Voilà pourquoi les jardins de la campagne de Colombo sont maintenant abandonnés et détruits. Ces ruines du monopole n’ont rien de majestueux, mais elles n’en sont pas moins instructives, et pour l’enseignement qu’elles nous donnent nous pouvons bien les saluer en passant.

A l’approche de la saison chaude, les principales familles de Colombo émigrent vers l’intérieur de l’île et vont chercher la fraîcheur dans les montagnes de l’ancien royaume de Kandy. La route, frayée sur un terrain des plus accidentés, permet aujourd’hui de voyager très facilement dans ce pays, qui, avant la conquête anglaise, était demeuré inaccessible et avait toujours défié les attaques des Portugais et des Hollandais. C’est dans un intérêt stratégique que les Anglais ont ouvert cette grande voie de communication : la soumission des chefs turbulens de Kandy eût été impossible, si le gouvernement ne s’était assuré le moyen de réprimer sur l’heure, par l’envoi immédiat des troupes cantonnées à Colombo et à Pointe-de-