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Galle, la moindre tentative de révolte. Cette mesure a exercé en même temps la plus heureuse influence sur la prospérité de l’île ; elle a provoqué les colons à s’établir dans l’intérieur, où ils ont créé de grandes plantations de café, et d’où ils peuvent expédier leurs produits vers le littoral. La route de Colombo à Kandy est parcourue par un nombre immense de chariots employés au transport du café. Le paysage rappelle une vue des Alpes que décorerait la végétation tropicale. On franchit les torrens, on tourne les flancs des montagnes, on suit les crêtes des ravins, et l’on arrive ainsi au point culminant, où les rois de Kandy avaient autrefois installé des redoutes qu’ils croyaient imprenables. D’après une vieille prophétie, le royaume devait périr le jour où un bœuf passerait à travers la montagne et un cavalier à travers le roc. L’ingénieur anglais a percé un tunnel sous la montagne et creusé la route au cœur même du rocher. La prophétie est accomplie. — A peu de distance de ce point, sir James Emerson Tennent passa à côté d’un village habité par l’une de ces tribus qui n’ont pas de rang dans la hiérarchie des castes indiennes, et qui se rencontrent dans plusieurs provinces de Ceylan. C’étaient des Rodiyas. Cette tribu, dont le nom flétri est mentionné dans les plus anciens manuscrits cingalais, est condamnée au dernier état de la dégradation, et serait jalouse même des parias, s’il lui était permis d’avoir un sentiment humain. Repoussée des villages, elle se voit interdire le feu et l’eau. Le Rodiya doit se cacher à l’approche d’un Kandyen et fuir même les regards, que sa présence pourrait souiller. Les Anglais ont essayé de relever cette misérable tribu en la moralisant par le travail, mais leurs efforts sont impuissans contre le préjugé indigène. Autrefois les Rodiyas fabriquaient des cordes avec des lanières de cuir et préparaient les peaux de singes avec lesquelles on couvre les tambours et les tam-tams ; c’étaient les seules professions que leur permît d’exercer la loi kandyenne. Sir James Emerson Tennent fait un curieux rapprochement entre cette tribu et les races maudites de l’ancienne France ; il rappelle que les caqueux de la Basse-Bretagne étaient également voués à l’état de cordiers, métier réputé infâme, parce qu’il fournissait la corde pour le gibet. Sans nous arrêter à cette comparaison inattendue, bornons-nous à signaler dans l’intérieur de Ceylan l’application de cette impitoyable loi humaine qui proscrit certaines races et les frappe d’une éternelle infamie. Et, chose singulière ! tandis que des peuples, entiers ont disparu, ces malheureuses races, réduites parfois à quelques milliers d’êtres, survivent et se perpétuent dans leur abjection.

La vue de Kandy est gracieuse et pittoresque. Dominée par plusieurs étages de collines que couvre le feuillage sombre des plants