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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/193

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ment les draperies peintes, l’obscur avenir encore endormi, et, pour tout dire, les riches possibilités contenues dans le génie humain. Le génie de l’humanité, symbolisé par Merlin, est alors comparable à ces adolescens extraordinaires qui n’ont encore rien fait, et qui par conséquent autorisent toutes les espérances et toutes les appréhensions. Que feront-ils ? que seront-ils ? Nous voudrions pouvoir nommer les actions dont nous sentons circuler en eux les germes, et nous jetons nos regards autour d’eux, comme pour voir si nous n’apercevons pas rôder déjà les occasions, filles du destin, qui recevront ces germes et les féconderont. Tel est le fait moral que M. Quinet a voulu symboliser dans les livres ii–vi, et que le lecteur devra toujours avoir présent à la pensée, s’il ne veut pas s’égarer. Dans cette partie de son livre, M. Quinet est trop retombé dans ses anciennes habitudes d’esprit et a trop sacrifié à la pompe. Indiquons encore, puisque nous faisons halte un instant dans la région la plus défectueuse du poème, les reproches qu’on peut adresser aux allégories de M. Quinet. Elles ont, ai-je dit, le tort d’être trop diaphanes : le lecteur nomme trop facilement les êtres abstraits et les phénomènes moraux qu’elles représentent, et il aurait envie de dire à l’auteur : « Mettez plus de chair, on voit l’âme de vos pensées. » En même temps qu’elles sont trop diaphanes, elles sont obscures et confuses. La même allégorie a deux ou trois significations et regarde pour ainsi dire de trois côtés à la fois. Ainsi Merlin signifie généralement le génie français, mais quelquefois aussi il signifie le génie humain sans acception de temps et de lieu. Il n’est pas douteux pour moi que le personnage du prêtre Jean ne renferme à la fois une satire de l’éclectisme, un éloge de la tolérance et une raillerie contre l’indifférence morale de notre époque. Le voyage de Merlin en Grèce contient une triple satire : satire historique contre la Grèce byzantine, satire politique contre la manie de destruction des doctrines républicaines, satire philosophique destinée à montrer comment l’intelligence, séparée du sens moral, n’est puissante que pour la mort, le sophisme et la destruction. Il faut donc lire ce livre avec une triple préoccupation : une préoccupation philosophique générale, une préoccupation historique limitée aux aventures du génie français, et une préoccupation politique limitée à l’état du temps présent. Les ironies enveloppées abondent, et on peut dire que le livre est plein d’e muets qui attendent que la critique leur mette des accens graves. Nous laisserons au lecteur le plaisir malicieux de les placer lui-même, et nous nous contenterons d’accens aigus.

Les amours de Merlin et de Viviane sont le nœud qui relie toutes les parties du livre ; ce nœud est très solide. M. Quinet l’a serré trois fois d’une main puissante en l’honneur du passé, du présent et de