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acquise en tous lieux, cet heureux retour du héros auprès de Viviane, toute palpitante de la joie de l’attente, porte dans l’histoire le nom glorieux de renaissance.

Oh ! combien les renaissances sont exposées à être flétries par les vents glacés ! Qu’ils sont courts, les reverdissemens de la nature ! Combien fragiles sont les liens qui enchaînent les cœurs trop longtemps séparés ! Viviane et Merlin espéraient un printemps nouveau, et ils ne s’étaient pas aperçus qu’ils entraient dans l’automne de leur amour. L’illusion ne dura qu’un instant. À peine avait-il mis le pied sur le sol natal, que Merlin s’aperçut que tout avait bien changé en son absence. Les messagers porteurs de nouvelles sinistres se succédaient sans relâche : l’un lui apportait la nouvelle de la mort des sylphes, l’autre revenait de l’enterrement de Titania, le troisième avait vu de ses yeux le dernier des faunes périr dans les flots. Merlin en fut troublé et attristé, on peut le comprendre aisément. Si les fées et les sylphes avaient péri, de quels êtres peuplerait-il la cour de Viviane ? Quels serviteurs lui donnerait-il pour exécuter ses ordres ? Où prendrait-il des ouvrières assez habiles pour broder ses robes, préparer ses parfums et lisser ses cheveux ? Lui faudrait-il donc se contenter d’une modeste existence, d’un ménage bourgeois, simple, frugal, gouverné avec prudence et économie ? Quel avenir pour Viviane ! Cependant on peut se consoler de n’avoir plus le superflu quand on conserve le nécessaire, et celui-là peut se passer de poésie à qui restent la justice et d’amour. Arthur et Viviane consoleront Merlin de la mort d’Obéron et de Titania… Hélas ! cette espérance devait être trompée comme toutes les autres. Merlin demande des nouvelles de la cour d’Arthur, on lui répond que le roi-chevalier est à son lit de mort. Merlin accourt à temps pour recevoir les dernières instructions d’Arthur et le voir s’endormir d’un sommeil étrange dont nul enchantement ne pourra le délivrer jusqu’au jour marqué par le destin. Ainsi c’en est fait pour longtemps de cette glorieuse chevalerie de la Table-Ronde que Merlin avait instituée, de cette chevalerie où il n’y avait ni riches, ni pauvres, ni premiers, ni derniers, et où pouvaient entrer les chevaliers de toutes les races et de tous les pays. C’en est fait de l’égalité et de la justice jusqu’au jour où le roi Arthur se réveillera et appellera autour de lui ses preux. La terre et le ciel ont trahi Merlin, tout est mort autour de lui ; il ne lui reste plus que l’amour, l’amour avec Viviane dans le vaste sépulcre du monde. Ce n’était pas là ce qu’ils avaient espéré, lorsque, dans leur adolescence, ils s’étaient rencontrés pour la première fois sur les bruyères des Gaules, lorsque, sans inquiétude pour l’avenir, ils aimaient à faire voguer leurs bateaux sur les rives de la Seine, et qu’ils entretenaient des relations d’intimité avec les