Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/204

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

fées de Bretagne et les chevaliers de la cour d’Arthur ; ce n’était pas là ce qu’ils espéraient récemment encore, lorsqu’ils s’étaient retrouvés après une si longue séparation. Et cependant Viviane pouvait dire qu’elle n’avait jamais aimé Merlin davantage, puisqu’elle consentait à l’aimer dans la mort, et que son amour défiait le sépulcre ; mais, à peine enfermée dans le sépulcre, l’âme de Merlin sent redoubler ses forces, et sa voix s’élève pour défier la mort. Ses prophéties percent la lourde cloison de sa tombe et parviennent jusqu’aux oreilles des peuples. Puis peu à peu Merlin s’accoutume à sa demeure sinistre, et s’amuse à l’orner de fresques et à écrire sur ses murs de grands poèmes pour le divertissement de Viviane. Le sépulcre, lui aussi, aura ses fêtes et ses heures de gaieté, si bien que Viviane en oubliera les concerts de ses bois chéris et les fêtes de ses vallons. L’hymen dans la mort aura aussi sa fécondité : Viviane donne naissance à un enfant qui grandit dans la paix des ténèbres, paisiblement, obscurément, comme autrefois son père dans le coin d’un cloître. Cet enfant, qui est destiné à remplacer Merlin et à renouveler l’art des enchantemens, s’appelle Formose. On dit qu’aujourd’hui il habite parmi les hommes, qu’il a un moment ébloui par ses prodiges ; nul ne sait quelles destinées lui sont réservées, et s’il exercera aussi longtemps que son père la puissance des enchantemens. Le séjour de Merlin dans le sépulcre, son hymen dans la mort avec Viviane, sont le symbole ingénieux et vrai de l’histoire du génie humain pendant les deux derniers siècles, — lorsque les espérances de la renaissance l’ayant trompé, il s’endormit dans la paix du découragement, gardant encore dans sa nuit assez de souvenirs de la nature pour enchanter et peupler ses rêves, pour vaincre la mort. Toute cette partie du livre de M. Quinet, écrite d’une seule haleine, est remarquable par la puissance et l’unité du style. Pour faire prophétiser et rêver Merlin, il n’a pas eu besoin de baisser le ton de sa voix ; le tombeau de l’enchanteur était une chaire convenable pour l’éloquence qui lui est naturelle. Il n’y a plus ici de discordances, plus d’effort pénible ; sa voix peut s’élever à son aise sans craindre de dépasser le niveau de son sujet : aussi se sent-il comme chez lui dans ce sépulcre et nous en décrit-il le charme de manière à nous faire porter envie à l’infortuné Merlin.

Je vous ai montré, selon ma promesse, quelques-unes des avenues de ce labyrinthe poétique ; je pourrais vous y promener longtemps encore, car il s’en faut que je vous aie expliqué tous les mystères qui s’y accomplissent et toutes les merveilles qui sont dues à l’art magique de Merlin. Ainsi je ne vous ai presque rien dit de certaines doctrines ésotériques, très connues au-delà du Rhin, qui sont déposées secrètement dans quelques-uns des piliers qui sou-