Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/206

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pages du volume. Il ne le fermait que pour méditer ; mais quand par hasard il ouvrait la bouche, c’était toujours pour s’écrier : Non, non, non ! jusqu’à ce que la force lui manquât. » Comme on ne le tourmentait point, il se pacifia peu à peu. Il eut bien plus d’une fois encore l’envie de se mettre en colère, car les habitudes de la domination l’avaient suivi dans son isolement, et lui faisaient sentir plus profondément son impatience ; mais comme il s’aperçut que personne ne faisait attention à lui, il jugea sage de se contraindre, et parvint enfin à se rendre maître de lui-même. Comprenez-vous le sens ésotérique de cette allégorie ? Ainsi, d’après l’évangile de la nature selon Spinoza et selon Hegel, évangile dont M. Quinet ne songe pas à nous cacher qu’il est un des croyans, le diable vieillira et verra son pouvoir diminuer de siècle en siècle, jusqu’à ce qu’il soit entièrement détruit. Alors, dans l’impuissance de mal faire, il se convertira ; doucement exhorté par le génie humain, il courbera sa tête orgueilleuse devant Dieu, et reconnaîtra enfin la puissance suprême. Alors le mal disparaîtra comme une illusion impure devant la lumière du bien, et ne sera plus qu’une fiction. Je réponds ainsi soit-il de tout mon cœur ; cependant, si vous me demandez mon opinion sur cette conversion de Satan, je vous avouerai que je m’en défie beaucoup, et que je tremble que ce ne soit là qu’une nouvelle ruse pour abuser de la candeur des honnêtes et belles âmes, parmi lesquelles il faut compter celle de beaucoup de philosophes, et en particulier celle de M. Quinet. Satan a pris dans le monde bien des costumes, et a su faire tourner à son profit bien des doctrines qui avaient été inventées contre lui. M. Quinet ne nous dit-il pas qu’on l’a vu plus d’une fois sous la robe du moine, et n’assistait-il pas, sous ce costume, à la passion de Merlin ? Il est impossible qu’il lui soit plus difficile de s’insinuer dans les cénacles des philosophes de la nature que dans les temples de Dieu. S’il a été assez habile pour retourner contre le Christ lui-même les doctrines du Christ, lui sera-t-il plus difficile de retourner contre la nature les paroles de la nature ? Fidèle à la vieille doctrine du dualisme, croyant à la persévérance impénitente de Satan dans le mal et à l’inépuisable fécondité de son génie, je ne saurais vous engager à vous en tenir sur ce point aux conclusions de M. Quinet. Tout ce que je puis faire, c’est de recommander ces conclusions à vos méditations : elles en valent la peine, car elles ont été celles de plusieurs nobles génies. Je sais qu’elles ont donné à beaucoup de belles âmes la consolation et la paix, et par conséquent je ne dois pas les condamner ; mais comme elles ne m’ont jamais rendu le même service, et que je les crois impuissantes à me le rendre, je les repousse pour mon compte, et je vous conseille de ne les adopter qu’avec pru-