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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/205

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tiennent les voûtes du labyrinthe. Ces doctrines sont relatives au père de Merlin, qui est, comme on sait, en même temps le père des mensonges. Il paraît que ses prétentions à la domination éternelle des hommes étaient mal fondées, et que ce don d’immortalité qu’il s’attribuait était un faux bruit qu’il faisait courir pour abuser le genre humain. Un jour Merlin et Viviane virent venir vers eux ce père impénitent. Ah ! quelle décadence ! Vieilli, cassé, radoteur, il se coupait dans ses mensonges, il se prenait dans ses pièges, si bien que le petit Formose lui-même, tout naïf qu’il était, démêlait aisément ses ruses et lui disait le plus tranquillement du monde : « Grand-père, vous en avez menti ! » L’enfer, qui n’avait jamais connu que les spectacles pompeux de la tragédie et les gaietés sinistres du mélodrame, connaîtra donc aussi la bonne comédie, et nous pourrons assister à une farce amusante, écrite par quelque ange ami du rire, intitulée plaisamment Satan Cassandre, ou le Méchant joué. C’est un spectacle désopilant pour le métaphysicien que de contempler dans le livre de M. Quinet les tristesses et les ennuis de ce hideux personnage. Peu à peu néanmoins notre horreur pour lui diminue, et la pitié remplit notre âme. Avoir fait tant de mal, avoir dépensé de tels trésors de méchanceté, pour arriver à un résultat aussi stérile !

Cependant tout pécheur mérite miséricorde lorsqu’il la demande sérieusement, et nous ne pouvons refuser notre compassion au vieux tyran de l’humanité lorsque nous le voyons, touché par les rayons de la grâce naturelle, manifester des signes non équivoques de conversion. Merlin et Viviane se prêteront avec un empressement tout filial à l’accomplissement de cette œuvre difficile. On lui construisit une belle abbaye où il conversait en se promenant avec des personnages distingués de l’ancien monde et du nouveau, qui tantôt, comme le prêtre Jean, pansaient les blessures de son âme ulcérée et l’exhortaient à la douceur et à la tolérance, tantôt, comme le vieux Pan, dissipaient ses ennuis en lui rappelant les plus gais souvenirs des bons jours d’autrefois. Pour opérer plus facilement sa conversion, Merlin fit un extrait des principaux philosophes de la nature, écrit sur beau parchemin vierge, embelli de dessins représentant des fleurs entremêlées et des oiseaux en nombre infini. Ce ne fut pas sans beaucoup regimber qu’il consentit à abreuver son âme desséchée par les flammes de l’enfer aux pages rafraîchissantes de l’évangile de Viviane. Fidèle à son esprit de contradiction et d’entêtement orgueilleux, le vieux sophiste trouvait moyen de tirer de ce livre, qui ne respirait que la paix et la douceur, des maximes de destruction et de négation. Cependant il lisait attentivement ; « il ne se passait pas un jour que vous n’eussiez pu le rencontrer, au bord des précipices, les yeux attachés sur l’une des