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enfonçait des carrés en ligne, comme à l’Oued-Laleg : le chasseur du 2e avait des allures plus indépendantes ; il combattait toujours en fourrageur : c’était son esprit, et il s’en tirait bien.

Tels étaient en 1845 les principaux titres militaires du régiment où j’étais appelé à servir. À l’époque de mon arrivée, toute la cavalerie était réunie au quartier de Kergenthal, situé à un quart de lieue d’Oran. C’est là que je devais trouver baraqué le 2e régiment de chasseurs d’Afrique. Les officiers occupaient un pavillon séparé, dit pavillon de la Mosquée. Colonnades en marbre ciselé, fontaine dans la cour dallée aussi de marbre blanc, galeries peintes et cintrées, rien de ce qui fait le luxe des grandes demeures musulmanes ne manquait à ce charmant pavillon. La salle des délibérations du conseil offrait surtout un aspect pittoresque. Il y avait à l’époque dont je parle un capitaine du 2e, nommé Joly, qui joignait un certain talent d’artiste à ses qualités militaires. Armé de son pinceau, il avait peint sur le mur des sujets tirés de l’histoire militaire de la France. Avec du papier colorié et fort habilement découpé, il avait fait des vitraux d’église ; seulement il avait remplacé les sujets religieux par des armoiries qui représentaient tout le blason de la chevalerie française. Le plafond figurait les champs élyséens où doivent se rendre tous les braves. On voyait Du Guesclin tendre la main à Murat, et le grand Condé causer avec Ney. Des cartouches entre les grands sujets donnaient l’uniforme exact des régimens français depuis l’invention de la poudre. L’ensemble avait un cachet d’originalité qui frappa Horace Vernet lui-même, quand il passa par Oran pour aller étudier le terrain d’Isly. Au milieu de ces baraques d’hommes et de chevaux se développait une cour spacieuse. Il y avait dans un coin de cette cour un banc nommé banc de M. de Crac. Que d’aventures romanesques, d’ardens récits de jeunesse, maiâ aussi que d’effrayans épisodes ce banc n’a-t-il pas entendu raconter ! Ce fut là qu’un soir, au milieu d’une joyeuse causerie, tomba soudain l’horrible nouvelle de la catastrophe de Sidi-Brahim, signal d’une campagne à laquelle le 2e chasseurs allait prendre une large part.

La province, depuis la bataille d’Isly, vivait dans un repos absolu. L’émir Abd-el-Kader, retiré dans le Maroc, jouissait en secret de la défaite du fils de l’empereur, qui n’avait point voulu écouter ses avis, et avait vu en un jour fondre toute son armée. L’idée lui vint tout à coup de rallumer la guerre et de tenter une irruption soudaine sur nos frontières. On était alors au mois de septembre 1845. Les Arabes ayant rentré toutes leurs récoltes, rempli leurs silos, Abd-el-Kader, avec ce tact qui lui était naturel, avait choisi ce moment favorable, chez un peuple à la fois agriculteur et guerrier, pour envahir