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comme un torrent nos possessions de l’ouest. Les nouvelles se succédaient, les unes bonnes, les autres mauvaises, suivant les gens qui les débitaient ; celles qui émanaient de cette population moitié française, moitié espagnole, qui habite la ville d’Oran, étaient grossies par la peur et prenaient des proportions effrayantes. On pouvait lui pardonner ses craintes, justifiées malheureusement depuis par une affreuse certitude, car elle se rappelait les événemens de 1840 dans la milidja d’Alger, où le fer et la flamme, promenés jusqu’aux portes de la ville, avaient mis le comble au désespoir des colons.

Heureusement un officier-général brave, résolu, expérimenté, commandait la province : c’était le général Lamoricière. Il sut, par son sang-froid, son calme au milieu des défections des tribus amies la veille, faire passer dans les cœurs les plus timides une confiance qu’il n’avait peut-être pas lui-même. En effet sa position était des plus critiques : en une nuit, tous les Douers et les Smélas restés fidèles, et qui campaient sous le canon d’Oran, nous avaient abandonnés. Le général Lamoricière perdait en eux une précieuse ressource : c’étaient des guides intelligens, connaissant bien le pays. Il demeurait réduit aux seules forces françaises qu’il avait avec lui. L’orage était partout ; de tous côtés, les tribus en révolte couraient aux armes. Déjà, à Mostaganem, les Flittas révoltés avaient eu une rencontre avec nos troupes. Malgré le peu de ressources que le général Lamoricière avait sous la main, il voulut refouler le torrent qui s’avançait sur lui : il marcha droit à l’ennemi en cherchant à rallier sur sa route ses troupes disséminées. À la tête du 2e régiment de chasseurs, il sortit d’Oran. Quoiqu’il eût avis de l’engagement des Flittas, il résolut de chercher l’émir partout où il pourrait le rencontrer. Le général marcha dans la direction de Sidi-Brahim. Il s’arrêta à Bridia, à six lieues d’Oran, pour y rallier et masser sa colonne ; il y fit halte dans la soirée. Ce premier bivouac présentait l’aspect le plus animé : tous ces régimens, qui ne s’étaient pas vus depuis longtemps, fraternisaient avec cette gaieté française qui ne fait pas faute même dans les revers. Je me souviens d’un des muletiers, ou soldats chargés de conduire les cantines des officiers, et qui appartenait au 2e régiment de chasseurs ; cet enfant de Paris, monté sur des caisses entassées, récitait en langue sabir, ou mauvais arabe, des proclamations qui étaient la parodie burlesque des célèbres allocutions adressées à l’armée d’Égypte. Lors de la formation du 2e, avant que la casquette traditionnelle ne fût trouvée, les chasseurs avaient porté d’abord un chapska de lancier très bas de forme ; puis on y avait substitué un chapeau gris à la Henri IV, orné d’une plume noire. L’essai malheureux de ce chapeau ne dura guère,