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ennemi de la bourgeoisie comme sur une base inébranlable, ni les trahisons ou la démoralisation d’une marine et d’une armée qui n’ont plus de chefs, ni la faiblesse du ministère constitutionnel, composé de membres bien intentionnés, honnêtes, éclairés, mais sans ascendant sur les hommes et sur les choses, qui ont obéi au sentiment du devoir en essayant, contre toute espérance, d’obtenir l’adhésion du Piémont à la conservation de l’autonomie napolitaine régénérée par des institutions libérales, et qui vraisemblablement ne poursuivent plus qu’une tâche, peu glorieuse sans doute, mais honnête : faire en sorte que la transition au nouvel ordre de choses s’accomplisse sans effusion superflue de sang italien, en évitant de donner des prétextes au débordement des passions vindicatives et des férocités populaires.

Il n’y a donc plus à s’occuper du sort de Naples. On n’a pas voulu ou on n’a pas pu contenir la révolution unitaire avant le passage du Phare ; la question imminente qui va se présenter est celle-ci : une fois la révolution accomplie à Naples, que fera le gouvernement piémontais ? Jusqu’à présent, le gouvernement piémontais est demeuré officiellement étranger à l’entreprise de Garibaldi ; le roi Victor-Emmanuel a même désapprouvé cette entreprise par une lettre rendue publique ; ses ministres ont toléré le départ des corps de volontaires ; ils ont négocié avec les chefs du mouvement pour détourner des états romains la direction de ces corps ; ils en ont tour à tour interdit ou autorisé le départ ; ils ont semblé vouloir décourager le mouvement par les circulaires de M, Farini. Tant que l’issue de l’entreprise était incertaine, la décence ou l’habileté commandait de louvoyer ainsi ; mais quand le roi aura quitté Naples, quand Garibaldi sera à la veille d’y entrer, les choses changeront de face. On s’engagera alors dans une crise grave ; il faudra prendre un parti tranché. Les deux partis entre lesquels on aura le choix sont les suivans : ou l’on se conduira vis-à-vis de Garibaldi à Naples comme on s’est conduit envers lui en Sicile, on le laissera s’emparer de la dictature et agir sous sa responsabilité, — ou bien le gouvernement piémontais interviendra officiellement à Naples, il y fera proclamer et exécuter le plus promptement possible l’annexion ; il recueillera le fruit du mouvement, et par cela même il prendra officiellement devant l’Europe la responsabilité des actes accomplis et des événemens ultérieurs. L’un et l’autre parti sont hérissés de telles difficultés que l’on ne peut attendre sans anxiété la décision à laquelle s’arrêtera le gouvernement piémontais.

Faut-il laisser Garibaldi maître à Naples comme il l’a été en Sicile ? La question doit paraître bien grave aux hommes d’état de Turin. S’ils s’y résignent, ils se condamnent à un effacement plus humiliant encore que celui où ils végètent depuis trois mois. Garibaldi même à Naples, bien plus qu’en Sicile, sera le chef véritable de l’Italie militante. Il y aura toutes les ressources d’un riche royaume ; il y disposera d’une armée considérable, au moins par le nombre dès soldats ; il y établira le centre et le foyer d’attraction