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du cortège, des canons, ni de tout l’appareil du deuil militaire ; je parle de l’émotion vraie et profonde qui glaçait la foule à la suite du char funèbre. Un monument s’éleva dans l’humble cimetière de Plumstead avec cette Inscription : « Érigé par les souscriptions volontaires des ouvriers de l’arsenal. »

Ces ouvriers habitent autour des murs de l’établissement de petites maisons qu’ils louent 6 ou 8 shillings par semaine. L’horreur des Anglais pour le casernement est tel qu’ils méprisent les avantages pécuniaires attachés peut-être à la réunion de plusieurs locataires dans le même bâtiment. Le sentiment du moi, qui constitue un des traits prononcés du caractère national, a exercé une forte influence sur tout le système d’architecture. Le pauvre veut être chez lui tout aussi bien que le riche. Il y a donc pour chaque classe d’ouvriers des cottages bâtis en brique, élevés de deux étages, avec un très petit jardin sur le devant appelé front garden, et un autre jardin plus grand sur le derrière, où l’on cultive quelques légumes, où souvent même on élève un cochon et des poules. Plumstead et Woolwich étant en quelque sorte entés sur l’arsenal et sur le dockyard, le village et la ville ont suivi les développement de ces deux grands chantiers de travail. Chaque jour des rues naissent comme par enchantement, et des maisons, toutes à peu près sur le même modèle, sortent de terre presque à vue d’œil au milieu d’anciens prés qui s’effacent. Le Samedi, après deux heures, un air de fête se répand à travers la ville. L’ouvrier qui a reçu le gain de sa semaine et qui jouit d’un half holyday (demi-jour de congé qui lui est payé) va faire avec sa femme et ses enfans les provisions pour le dimanche. C’est plus qu’un marché, c’est une foire. Des marchands de toute sorte, des charlatans qui vendent des poudres infaillibles pour guérir de toutes les maladies, de comiques cheap jacks arrêtent la foule, qui se presse dans to.ite la longueur des rues. À minuit commence le grand jour du repos. On ignore trop en France l’heureuse influence qu’exerce parmi les ouvriers anglais l’observation du dimanche (j’écarte le point de vue religieux) sur la vie de famille. L’homme qui durant toute la semaine a été absent de chez lui se retrouve ce jour-là dans son royaume intérieur, au milieu de sa femme et de ses enfans, qu’il aime à voir beaux et bien parés. Après une semaine de fatigues, il se repose par le cœur. Un des grands principes de la religion protestante est le crescite et multiplicamini : il suffit de jeter les yeux sur l’essaim de têtes blondes qui bourdonne autour des maisons de Plumstead pour voir à quel point le précepte divin est observé dans la Grande-Bretagne par la classe ouvrière. La population de l’arsenal ne se distingue guère du personnel des autres fabriques que par un caractère d’aisance et de