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Tous les hommes se rassemblent à leur tour, c’est-à-dire par série de lettres et de numéros, devant un bureau construit en bois et situé au milieu d’une cour (ticket office). Aussitôt que le numéro de la série est proclamé, les hommes se forment sur une ligne et entrent un à un dans le bureau, où ils montrent un billet (ticket) qui leur a été délivré la veille par le contre-maître. Leur argent est tout prêt et déposé sur une sorte de plateau avec le numéro au-dessus. Un employé appelle le numéro, un autre employé prend Tar-gent et le remet à chaque ouvrier qui passe. On ne peut suivre sans intérêt l’application d’un système si simple et si expéditif, quand on réfléchit surtout à la grande diversité des salaires. Les adolescens reçoivent de 4 à 11 shillings 8 pence par semaine, les hommes de 14 à 42 shillings. J’en excepte les contre-maîtres, qui gagnent une somme plus considérable, — 3 et 4 livres. Le gouvernement n’épargne point les sacrifices et offre certains avantages pour s’attacher, comme on dit ici, les meilleures mains. Après trois années de service, les ouvriers de l’arsenal sont payés durant Un mois de maladie. S’ils reçoivent une blessure en travaillant dans les ateliers, leur solde est maintenue jusqu’à ce qu’ils soient rétablis. S’ils perdent un membre au service de l’établissement, ils ne sont jamais renvoyés que dans le cas extrême de mauvaise conduite. Après vingt années, les ouvriers qui n’ont point quitté l’arsenal ont droit à une pension. Ces avantages pécuniaires ne sont pas les seuls que présente l’état : les directeurs de l’arsenal, hommes de cœur et d’intelligence, se sont occupés du moral des ouvriers. Il existe une école dans laquelle les jeunes gens peuvent étudier huit heures par semaine, sans rien perdre du salaire attaché à leurs travaux, et quelques-uns d’entre ceux qui suivent ces classes ont fait des progrès remarquables en mathématiques. On y donne aussi de temps en temps dans la soirée des leçons (lectures) sur différens sujets. La bibliothèque est ouverte à tous les ouvriers ; il en est qui paient 4 ou 6 pence[1] par mois pour emporter les livres chez eux. L’arsenal fournit aussi du travail aux jeunes filles. Ces dernières reçoivent environ 12 shillings par semaine : c’est peu ; mais l’établissement leur sert chaque jour un dîner composé de soupe, de viande, de pommes de terre et de pain pour la somme modique de 15 centimes (3 demi-penny). Il y a un boucher attaché à l’arsenal tout exprès pour ce service. Un tragique événement donna, il y a deux ou trois ans, la preuve des bons sentimens qui règnent entre les maîtres et les ouvriers. L’un des officiers civils de l’arsenal avait péri victime de la frayeur de son cheval, qui s’était emporté. Je n’ai jamais vu de plus royales funérailles : je ne parle point de la pompe

  1. 4 pence pour les ouvriers, labourers, et 6 pour les artisans.