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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/345

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au-delà de certaines tentations de l’esprit, et même à cette époque ils se résolvent rarement en erreurs de fait. Si une esquisse qu’on voit aujourd’hui au musée de Troyes, la Mort d’Orphée, pèche ouvertement par l’agitation des lignes et la violence des mouvemens, en revanche rien de moins turbulent dans la forme, rien certes de plus exempt en apparence de tout paradoxe pittoresque que la statue de Coronis, modelée en 1831, ou le bas-relief représentant le Vieillard et ses Trois Fils, qui en 1833 valut au jeune artiste le prix de Rome. Et cependant celui qui venait de prouver ainsi son intelligence des lois de la statuaire ne laissait pas au fond de son cœur de nourrir des projets dont l’exécution l’eût entraîné à enfreindre gravement ces lois. Facilement gagné, comme presque tous les esprits jeunes alors, à la cause de la révolution qui s’achevait dans les arts et dans les lettres, il ne rêvait pas moins que de sacrifier au profit de la sensation, de l’émotion purement dramatique, l’expression calme et réfléchie du beau, ou, comme il le disait lui-même dans une lettre que l’on a conservée, « d’exécuter des groupes immenses où dominerait une pensée profonde, qui ferait oublier l’art et l’artiste… J’aime l’art qui saisit le cœur, écrivait-il un peu plus tard, j’aime l’art qui fait pleurer. » Soit ; mais tous les arts indifféremment n’ont pas et ne sauraient avoir ce don de provoquer les larmes. La sculpture en particulier n’est pas plus faite pour nous attendrir que la poésie ou la musique pour instruire nos yeux des beautés de la forme humaine, et le statuaire qui demanderait au marbre d’éveiller en nous les émotions que nous, donnent Racine ou Mozart n’arriverait qu’à vicier son art, à en énerver l’éloquence et à désarmer sa main.

Pendant les premiers temps de son séjour à Rome, Simart n’était pas encore guéri de ce qu’on pourrait appeler cette fièvre de jeunesse. Ses tendances vers une idéologie dangereuse se développant sous l’influence d’autres inquiétudes morales et de certaines tristesses dont le secret n’a été révélé qu’après lui, il courait le risque de se fourvoyer tout à fait, lorsque l’autorité et les exemples d’un grand maître vinrent nettement lui rappeler ses devoirs et lui enseigner le droit chemin. M. Ingres, récemment nommé directeur de l’Académie de France, mit d’autant plus d’empressement à secourir ce talent en péril qu’il y était sollicité à la fois par sa conscience de chef d’école et par l’intérêt que portait à Simart une famille dont il avait lui-même éprouvé de longue main les généreuses sympathies et la haute sagacité en matière d’art[1]. Simart fut donc en réalité

  1. Le nom de la famille Marcotte se trouve si souvent et si honorablement mêlé à l’histoire des artistes les plus éminens de notre époque, qu’il suffira de mentionner ici ce nom sans insister sur les souvenirs qui s’y rattachent. On sait avec quelle affectueuse sollicitude M. Marcotte d’Argenteuil entretint ou releva pendant les dernières années le courage de Léopold Robert, avec quel zèle il se dévoua à la gloire de M. Ingres bien avant l’heure des admirations unanimes et des triomphes éclatans. Un frère de cet ami des deux célèbres peintres s’intéressa tout d’abord, et plus utilement que personne, aux essais, aux succès encore incertains de Simart. Enfin un troisième frère, M. Marcotte-Genlis, continuant dignement la tradition de ses aînés, seconda de tout son pouvoir les derniers progrès de l’artiste, et demeura jusqu’à la fin en liaison intime avec lui. À côté de ces protecteurs éclairés du talent de Simart, il n’est que juste de nommer M. Gabriel de Vendeuvre, bien prompt, lui aussi, à deviner ce talent, à en favoriser l’essor sans réserve d’aucune sorte, et, aujourd’hui encore, bien pieusement attentif aux faits qui peuvent achever d’en populariser les œuvres ou d’en consacrer la mémoire.