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qu’il avait en secret caressé d’épouser, au sortir d’Oxford, une amie d’enfance, élevée parmi ses sœurs, qu’il avait longtemps regardée et traitée comme elles, mais qui, depuis quelques années, lui était apparue sous un jour nouveau, plus sérieuse et plus tendre tout à la fois. Pas un mot n’avait été échangé entre les deux jeunes gens qui les liât l’un à l’autre ; ils s’étaient compris cependant : elle avait deviné qu’il la préférait, et dans le secret de son cœur elle s’était fiancée à lui. Quand elle le vit revenir, vaincu et triste, de la lice universitaire, au lieu de l’accueillir froidement comme le digne recteur, au lieu de lui montrer son chagrin comme mistress Wilkinson, au lieu de le railler comme leurs filles étourdies et rieuses, Adela Gauntlet prit silencieusement l’attitude qui convenait au changement de leur commune obstinée. Elle ne porta plus de robes voyantes, elle ne valsa plus ; — la femme d’un clergyman ne doit pas valser.

Arthur Wilkinson s’aperçut sans doute, de ce muet dévouement. L’apprécia-t-il tout ce qu’il valait ? Espérons-le pour son honneur ; mais c’était un cœur faible, une intelligence harcelée de scrupules pusillanimes. Il n’osa pas étendre la main vers le trésor qui s’offrait à lui. Tandis qu’il délibérait, qu’il attendait, qu’il balançait, la mort, qui n’attend ni ne délibère, vint trancher la question qu’il débattait vainement depuis quelques mois. Le digne recteur fut subitement enlevé à sa famille. Ainsi qu’il arrive presque toujours en pareil cas, il laissait les siens dans une misère absolue. Ce fut donc pour eux un coup du ciel que la bonne volonté inattendue du noble personnage à qui revenait le droit de disposer du bénéfice vacant. Bonne volonté n’est pas tout à fait le mot. Lord Stapledean, à qui les Wilkinson étaient parfaitement indifférent, n’offrit au fils la dévolution du living paternel que pour se dispenser de l’accorder à un de ses collègues de la pairie, qui le sollicitait vivement et à qui on ne pouvait le refuser sans un prétexte honnête. Arthur dut à ce généreux sentiment le vicariat de Hurst-Staple avec le salaire y attaché ; c’est-à-dire cinq cents bonnes livres sterling par an. Par malheur, il ne reçut pas sans conditions ce don magnifique. Lord Stapledean, prenant ses précautions pour le lui rendre aussi peu agréable que possible, avait exigé de lui la promesse formelle qu’il ne se regarderait, quoique vicar en titre, que comme le curate du bénéfice, et qu’une fois payé de ses peines, c’est-à-dire après avoir prélevé cent cinquante livres sur le revenu total, il remettrait le surplus à sa mère. Arthur comprenait bien que cette condition, sine quâ non, allait le maintenir à jamais dans un état de dépendance incompatible avec les : devoirs d’un chef de famille ; mais comment s’y refuser sans encourir une responsabilité effrayante ? Comment suffire aux besoins de ces trois femmes désormais groupées autour de lui, et qu’il ne saurait