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qu’ils lui en fassent accroire, et s’interdit même dans une certaine mesure de préférer l’un à l’autre. Tous ont leur infirmité secrète, et il les étale nus, sur son grabat d’hôpital, démonstrateur impassible. Aucun n’a pu lui déguiser ses petits péchés, et il les confesse tous à voix haute, révélateur sans pitié, sans pitié, mais aussi sans colère, au moins apparente. Point de morale guindée, point de sermons solennels ; rien qu’un homme du monde qui sait, comme on dit, « ce qu’en vaut l’aune, » et qui, tout en souriant, vous raconte, vous dénonce vos inconséquences, vos absurdités si pardonnables, vos ridicules si naturels, vos bassesses mêmes qui ont tant d’excuses, vos petites infamies en faveur desquelles il est tant de circonstances atténuantes, et dont il serait si étrange de se formaliser outre mesure. Vous l’écoutez avec complaisance, ce moraliste bénin, ce confesseur à manches larges ; puis le moment vient où, averti par quelque sensation pénible, vous faites un retour sur vous-même, et alors, ô surprise ! vous constatez une, deux blessures profondes, que, sans avoir l’air d’y toucher, ce bon compagnon si indulgent, si gai, vous a sournoisement infligées : bien heureux si, à votre, insu, l’aimable chirurgien, pour vous mieux guérir, ne vous a point écorché vif.

Maintenant êtes-vous guéri ? Délicate question que nous reprendrons plus tard ; mais, ne l’oublions pas, nous avons auparavant deux histoires à raconter.


I

Le fils du colonel Lionel Bertram et celui du digne recteur de Hurst-Staple, M. Wilkinson, furent élevés ensemble sous le toit de ce dernier. George Bertram et Arthur Wilkinson entrèrent ensemble à Oxford comme prizemen, mais dans deux collèges différens. Le premier ne travaillait qu’à ses heures et voyait croître de jour en jour sa renommée universitaire ; le second, book-worm acharné, sur lequel on avait d’abord fondé les plus grandes espérances, perdait au contraire chaque jour du terrain. Après quatre années de cette lutte inégale, les épreuves définitives arrivèrent. George Bertram en sortit double first, c’est-à-dire avec tous les honneurs de la guerre et une fellowship qui lui assurait, jusqu’à son mariage, un revenu de 200 livres sterling. Arthur Wilkinson ne fut pas même inscrit parmi les premiers-simples. Tombé au second rang, il n’avait ni fellowship ni même la chance de pouvoir rester utilement à l’université comme répétiteur libre. D’un naturel timide, sans indépendance, sans initiative, il n’avait plus qu’à prendre les ordres et à attendre la première cure que ses relations pourraient lui procurer.

De toutes ces déconvenues peut-être eût-il pris son parti, si elles n’eussent contrarié ses vues d’avenir et ajourné indéfiniment l’espoir