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géré à d’honnêtes Européens qui n’ont jamais franchi les limites du monde civilisé et qui n’ont pas pu apprendre par expérience combien le génie des Orientaux aime la recherche dans la perversité de son ignorance ; c’est cependant là ce qu’il faut prévoir, et c’est pour cela qu’il faut faire porter à d’autres, aussi bien qu’aux fonctionnaires turcs, la responsabilité des crimes qui viennent de se commettre. C’est d’ailleurs un principe du droit commun dans tous les pays de l’Europe que les communes soient responsables des désordres qui s’accomplissent sur leur territoire dans les émotions populaires. Telle est la loi en France, en Angleterre et ailleurs ; telle est la loi que nous avons appliquée nous-mêmes avec succès en Algérie quand nous avons voulu obtenir la sécurité des routes ; telle est la loi que, pour le même besoin et avec d’aussi bons résultats, Méhémet-Ali avait imposée à la Syrie elle-même. Il avait poussé l’application du principe de la solidarité jusqu’aux matières d’impôt. Ainsi le principe ne sera pas nouveau, et il n’y a aucune exagération à dire que non-seulement il sera accepté comme juste par la conscience publique, mais que de plus il est seul capable de nous mener au but que nous cherchons : la réparation du passé et la garantie de l’avenir.

Si nous ne voulons pas nous exposer à être pris pour dupes, si l’Europe ne veut pas que la nouvelle expédition de Syrie tourne à n’être qu’une démonstration vaine, voilà ce qu’il convient d’exiger, et je crois que ces exigences sont parfaitement conciliables avec la teneur même des protocoles. Si ce qu’ils appellent le rétablissement de l’autorité du sultan ne signifiait pas autre chose que faire tomber les armes des mains de ces barbares, il semblé que Fuad-Pacha aurait suffi à obtenir ce résultat, et il eût été presque ridicule de déplacer une division française si l’on n’avait pas eu d’autre mission à lui donner que celle d’être présente à la cessation des combats et à l’extinction des incendies. Ces exigences d’ailleurs doivent être celles du sultan lui-même encore plus que les nôtres ; plus que nous il a besoin d’obtenir la réparation du passé, car en définitive il a plus souffert que nous de ces événemens, et il souffrirait encore plus que nous de leur retour. Ce qui n’a été pour l’Europe qu’une occasion de faire éclater là générosité de ses sentimens a été de toute manière pour le sultan la plus affligeante des occurrences, où l’honneur et la considération de soi gouvernement coulaient par tous les pores avec le sang des victimes. On peut sans doute présumer qu’il se trouvera des gens pour chercher à éloigner autant qu’il dépendra d’eux l’ingérence importune des puissances chrétiennes dans les affaires de Syrie ; mais, dans la situation donnée, le côté moral emporte le fond même de la question, et ces mauvaises volontés seront réduites à l’impuissance sans même qu’il soit besoin de s’en occuper.