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trop suspecte d’être une œuvre de nécessité politique autant que de prévoyante modération.

On sait comment cette lutte a pris naissance et comment ce qui n’était qu’un démêlé diplomatique devenait bientôt une guerre ouverte à travers une série de négociations compliquées de la mort de l’empereur Abderrhaman et de l’intervention incommode de l’Angleterre, accourant au secours du Maroc pour le sauver, sinon d’un châtiment mérité, du moins de quelques-unes des conséquences de la défaite. Des insultes incessantes poussées jusque sous les murs de Ceuta, le pavillon espagnol abattu par les Maures de l’Anghera, c’était là le prétexte, la cause ostensible et accidentelle du conflit ; la vraie et profonde raison, c’est que là où chrétiens et musulmans sont en contact, malgré tous les efforts de la politique, il n’y a point de paix, il n’y a que des trêves, car aux yeux du fils de l’islam le chrétien est toujours l’ennemi. On ne peut dire que l’Espagne cherchât la guerre : elle venait de faire la paix avec le Maroc au sujet de Melilla, lorsqu’une plus sérieuse attaque la rappelait aux armes sur un autre point ; mais, la lice se rouvrant devant elle à l’improviste, elle s’y précipitait avec l’ardeur d’un peuple touché dans sa vieille passion contre le Maure, exalté à la pensée d’être, lui aussi, le soldat de la civilisation dans un combat singulier contre la barbarie, et mettant une sorte d’humeur fière à tenter une entreprise virile en face de l’Europe, sous les yeux de l’Angleterre et un peu malgré elle. Le conflit diplomatique naissait au mois d’août 1859 sous le coup des insultes dirigées contre les premières défenses de Ceuta ; le 22 octobre, la guerre était déclarée.

Dès lors tout prenait une animation extraordinaire des Pyrénées au détroit. L’Espagne semblait secouer l’air épais des guerres civiles pour respirer l’air plus généreux d’une guerre d’honneur national. Les régimens pressés vers le midi allaient se concentrer au camp de San-Roque, près de Gibraltar, à Algésiras, et successivement dans tous les ports de l’Océan et de la Méditerranée, à Cadix, à Puerto-Real, jusqu’à Malaga. Au total, les troupes ainsi mises en mouvement montaient à quarante mille hommes ; elles se divisaient en trois corps, commandés par les généraux don Rafaël Echague, don Juan Zabala, don Antonio Ros de Olano, plus une division de réserve mise aux ordres du général don Juan Prim, comte de Reuss, et cette armée, munie de soixante pièces d’artillerie, dont quelques-unes rayées, avait pour chef supérieur le président du conseil lui-même, le général don Léopold O’Donnell, comte de Lucena, qui tenait, je pense bien, à ne laisser à nul autre l’avantage d’aller chercher un certain prestige militaire en Afrique pour revenir bientôt à Madrid lui disputer la prééminence au pouvoir. L’armée une fais organisée, é