Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/434

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quipée et rassemblée au midi, il fallait la jeter au-delà du détroit ; la marine s’y employa de son mieux, mais avec la lenteur et l’embarras d’une force navale insuffisante ou prise au dépourvu, peu accoutumée surtout aux grandes et rapides opérations. Le 19 novembre, le premier corps d’Echague débarquait à Ceuta ; le 26, le deuxième corps de Zabala et la réserve de Prim touchaient à leur tour la terre d’Afrique, avec le général en chef ; le troisième corps, celui de Ros de Olano, n’arriva que le 12 décembre. La campagne était déjà commencée, les soldats de l’Espagne, dès leur débarquement, avaient eu à se mesurer avec l’ennemi, embusqué derrière ses rochers, et avec toutes les difficultés matérielles d’une entreprise qui, à partir de cette première heure, pourrait réellement se diviser comme un drame en trois actes : l’un, plein de tâtonnemens, de mouvemens laborieux, de luttes défensives, d’alertes, d’épreuves obscures, et préparant l’offensive hardie prise le 1er janvier 1860 à Castillejos ; — l’autre portant l’armée de Castillejos à Tetuan à travers des, péripéties nouvelles de toute sorte ; — le troisième enfin commençant à Tetuan pour se dénouer par la paix au lendemain d’une dernière victoire qui ouvrait la route de Tanger.

Une chose curieuse d’abord, c’est que les chefs de l’armée espagnole n’avaient qu’une idée très incomplète du terrain où. les appelait la fortune de la guerre. L’Espagne avait une clé de l’Afrique par Ceuta, elle avait un abri, un poste sur le rivage ; mais c’était tout. Aux portes mêmes de la ville, la lutte commençait dans des conditions où tout était mystère, — la force de l’ennemi, ses moyens d’action, ses habitudes de combat, jusqu’à la nature du pays au-delà de ce qu’on entrevoyait à l’horizon. C’était une contrée singulièrement difficile à aborder pour une armée. On a parlé beaucoup de quadrilatères depuis la guerre d’Italie, et peut-être en parlera-t-on longtemps encore. Cette partie du nord de l’Afrique n’est pas sans avoir une sorte de quadrilatère irrégulier et naturel dont Ceuta serait un des angles, et dont les trois autres points saillans seraient : d’un côté Tanger, du côté opposé Tetuan et les hautes positions du Fondack, où les Espagnols, contournant par l’extérieur une moitié du carré, devaient livrer leur dernière bataille. L’intérieur de ce carré est plein de massifs escarpés et gigantesques, coupés de gorges profondes, et dont la chaîne épaisse, courant du sud-est au nord-ouest, part de la Sierra-Bermeja et de Tetuan, s’étend par ses dérivations et ses contre-forts jusqu’à la Méditerranée, et va former le point extrême du détroit de Gibraltar, où l’Afrique et l’Europe se touchent presque de la main. Cette chaîne étrange et formidable a dans son ensemble un nom que les Espagnols ont consacré désormais, bien qu’ils n’aient pas forcé l’entrée de ces massifs ; elle s’appelle la