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et d’émeraude. Que de curiosités éveillées, que de surprises et d’émotions pour le navigateur et le voyageur arrivant de la zone tempérée ! Ce n’est pas qu’aux rayons de ces magnificences il n’y ait quelques ombres. La saison des pluies, bien qu’elle survienne au plus fort des chaleurs, se montre presque aussi désagréable que notre hiver : trop souvent de violens ras de marée bouleversent les rades ; les grains de mer tournent en terribles ouragans, et les tremblemens de terre démolissent en un jour l’œuvre des siècles. Toutefois l’homme, par un heureux don de la Providence, oublie vite les maux passés, et ici comme ailleurs les richesses d’une terre féconde l’habituent à supporter les inconvéniens accidentels du climat.

A juger de la Martinique par le bruit qui s’est fait autour de son nom, l’on ne soupçonnerait pas que cette île n’a guère que l’étendue d’un simple arrondissement de France, seize lieues de long sur sept de large et quarante-cinq de circonférence, 100,000 hectares environ de superficie. Son rôle historique lui vient d’ailleurs de sa situation, la plus avancée au vent de toutes les îles, sauf la Barbade, ce qui en fait l’une des premières escales pour les navigateurs arrivant de la pleine mer. Les profondes échancrures de son pourtour, qui forment une multitude de rades, d’anses et de havres, se prolongent au milieu des terres comme des estuaires et communiquent avec les rivières de l’intérieur ; son principal port, Fort-de-France, est l’un des plus vastes et des plus sûrs de l’Amérique ; enfin elle jouit d’une admirable fertilité, due au triple concours d’un sol riche, d’une humidité surabondante et d’un soleil ardent.

Le sol, formé d’éjections volcaniques, a toute la fécondité de ces sortes de terres, avantage qui se complique, il est vrai, d’un grave péril, tant que les feux souterrains brûlent encore, comme les fumées de la Montagne-Pelée ne le prouvent que trop. Le simple aspect de la contrée en raconte l’histoire géologique. Du nord au sud de l’île se dressent cinq ou six monts principaux, distribués en groupes rapprochés, mais indépendans, au lieu de ces chaînes prolongées qui accusent ailleurs des formations moins violentes. Les uns culminent en pitons aigus dont l’altitude dépasse 1, 300 mètres ; d’autres s’étalent en crêtes étroites, parfois tranchantes, inclinées en talus raides et d’un accès difficile. À mi-hauteur de ces sommets détachés, et comme leur faisant cortège, une multitude de mornes, restes de volcans secondaires, s’abaissent en coteaux moins abrupts, les uns ombragés de forêts ou cultivés, les autres stériles et nus. Après les volcans qui ont créé ces pics, ces cônes, ces pyramides, sont venus les tremblemens qui les ont disloqués, ont déchiré la croûte du sol, haché les flancs des montagnes en crevasses et en précipices : obstacles dont souffrent à la fois les communications et les cultures.