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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/474

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II.

Le principal critérium que nous possédions pour juger de l’état d’un pays, c’est le degré de développement de l’instruction ; ce développement est une sorte d’échelle de civilisation qui permet de déterminer les rapports d’accroissement ou de diminution de tel ou tel genre de crime ou de délit, suivant que la société possède plus de lumières. M. Guerry a réparti les prévenus sur lesquels portent ses investigations (celles-ci comprennent une période de 20 ans pour l’Angleterre et 610,000 accusés, une période de 26 ans pour la France et 191,000 accusés) en quatre.catégories. 1° ceux qui ne savent ni lire ni écrire 2° ceux qui ne peuvent lire et écrire qu’imparfaitement, 3° ceux qui savent bien lire et écrire, 4° ceux qui possèdent une instruction supérieure.

Si l’on considère tout d’abord le suicide en se fondant sur les chiffres fournis par les relevés dressés en Angleterre pour les tentatives de mort volontaire, on trouvera que, dans l’ordre des crûmes, il tient le 35e rang dans la première catégorie, le 34e dans la seconde, le 15e dans la troisième, le 16e dans la quatrième. Les départemens de France qui occupent les premiers rangs dans la carte des suicides sont précisément les plus éclairés, ceux qui avoisinent Paris. Voici par exemple les dix premiers : Seine, Seine-et-Oise, Oise, Seine-et-Marne, Marne, Seine-Inférieure, Aube, Loiret, Aisne, Bouches-du-Rhône. Ils représentent une moyenne d’instruction fort supérieure à celle des six départemens qui offrent le moins de morts volontaires, tels que la Corse, Haute-Loire, Lozère, Hautes-Pyrénées, Ariège, Aveyron. Ces résultats, sans être tout à fait concluans, paraissent cependant annoncer que la tendance au suicide augmente avec l’instruction, ce qui ressort également du fait signalé plus haut, que le nombre des morts volontaires est en raison inverse de celui des crimes contre les personnes, lesquels diminuent avec l’instruction. MM. Lisle et Brierre de Boismont ont constaté de leur côté l’accroissement considérable des suicides en France et le rapport de ces attentats avec le développement de l’instruction, les progrès des sciences et de l’industrie. Les formes plus raffinées de la société exercent sur le système nerveux une influence à certains égards dangereuse et qui se manifeste aussi dans l’accroissement notable du chiffre des aliénés. Les causes d’émotions fortes se multiplient en même temps que s’affaiblit l’énergie morale. Dans les pays peu avancés, où des préjugés particuliers, une démoralisation profonde, ne tendent pas, comme au Japon et en Chine, à pousser l’homme à se donner la mort, les suicides sont rares. Tel est notamment