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nous est fournie par la région du nord. Ici les passions changent ; le désir effréné du lucre l’emporte sur la violence des sentimens, et l’homme vole ou détourne, tandis qu’au sud il frappe ou assassine. En Angleterre, dans les crimes contre les personnes et contre les propriétés, le pays de Galles offre les chiffres les plus bas, et pour le reste du royaume la répartition géographique est à peu près la même, car des différences moins profondes d’habitudes séparent les divers comtés. Londres, les comtés environnans et une bande qui part du Somerset pour côtoyer le pays de Galles jusqu’au Lancashire sont marqués sur la carte, pour l’une et l’autre catégorie de crimes, des teintes les plus foncées.

Entre les principales causes qui tendent à accroître la criminalité dans les diverses régions, il faut incontestablement placer la nature des occupations. La vie des champs est plus favorable à la moralité générale que celle des fabriques. En Angleterre, les comtés manufacturiers donnent d’ordinaire une plus forte proportion de criminalité totale que les comtés agricoles ; les comtés où l’on s’occupe surtout du travail des mines se placent au milieu. L’abus des spiritueux y est aussi une cause dissolvante des plus actives, et l’on voit, tous les comtés dont les habitans sont le plus enclins à l’ivrognerie présenter le plus grand nombre d’attentats. L’Ecosse fournit un chiffre de criminalité supérieur à celui de l’Angleterre, surtout pour les femmes ; c’est là qu’on voit figurer en majorité les délits où intervient la violence, et il est à noter que la consommation des liqueurs fortes y est près de cinq fois plus grande qu’en Angleterre. L’Irlande, contrée tout agricole, qui devrait à ce titre n’occuper que les derniers échelons du vice, offre un quart de criminels en plus que l’Angleterre, et cela tient également à l’ivrognerie.

J’ai signalé dans une de mes précédentes études[1] les effets désastreux de l’ivrognerie ; elle n’a pas seulement pour conséquence d’engendrer la paresse et le désordre, de dégrader l’intelligence, de pousser les individus sur la pente du crime. Elle a de plus terribles effets : elle détériore l’espèce et agit, par voie de transmission héréditaire, sur le moral des populations ; elle produit une foule de maladies, dont plusieurs ont elles-mêmes leur part dans l’accroissement de la criminalité générale. La maladie est une cause, sinon immédiate, au moins indirecte de crime. Elle amène la misère et le désespoir, elle altère ou affaiblit nos facultés, elle se lie parfois à une surexcitation du système nerveux qui imprime plus d’énergie à nos penchans mauvais ; on ne saurait donc complètement apprécier la marche de la criminalité sans tenir compte de la statistique médicale. Cette, statistique, tout imparfaite qu’elle soit encore, a été cependant

  1. Voyez, sur les Dégénérescences de l’espèce humaine, la Revue du 1er janvier 1860.