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Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 29.djvu/53

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comme sous l’habitation couverte en bois, l’amour paternel, le travail, l’épargne, l’ordre, pour peu que la race privilégiée prêche de parole et d’exemple. Que les propriétaires déplorent la désorganisation de leurs ateliers et le chômage de leurs usines, ils en ont aussi bien le droit que les propriétaires qui, en France, déplorent l’émigration des campagnards vers les villes ; mais peut-être y a-t-il dans ce déplacement une décadence morale de la société plus prononcée en Europe qu’aux colonies.

Entre les noirs et les blancs se placent les mulâtres, appelés par euphémisme hommes de couleur, qualification qui a prévalu ; cette classe, importante par le nombre et l’énergie, par l’ambition et la fortune, aspire à conquérir la première place dans des colonies qui pour elle sont la patrie. De tout temps, elle y fut une cause d’embarras et d’inquiétude, inévitable expiation de l’iniquité de la race blanche, qui, après avoir créé et mis au monde des enfans mulâtres, les repoussait dédaigneusement dans la plèbe esclave, et leur refusait, même après la liberté acquise, leur part de droits civils et politiques, comme si elle était innocente de leur existence, comme si elle pouvait alléguer contre eux l’infériorité de nature invoquée contre les noirs. L’histoire coloniale, qui mérite d’être interrogée au moment où l’antipathie entre les deux classes est ravivée par certaines doctrines, constate que le préjugé de la couleur, dont on se fait une excuse puisée dans la nature, est un fruit corrompu de la politique. Les annales des Antilles montrent à chaque page les lois de la métropole faisant à cet égard violence aux mœurs des colonies, et les dures traditions du droit romain étouffant les généreuses inspirations de la race française.

Jusque vers 1674, les enfans de couleur suivirent le sort de leur père, et furent libres en principe dès la naissance, en réalité dès l’âge de vingt-quatre ans. C’est dix ans plus tard que Louis XIV, si bon père pour ses propres enfans illégitimes, cédant aux inspirations qui lui firent révoquer l’édit de Nantes, précipita dans l’esclavage les enfans nés du commerce des blancs avec les négresses. La moindre tache de sang noir fit perdre la noblesse et devint un titre d’exclusion à tout emploi, — et pour quelles raisons ! « Dans un pays où il y a quinze esclaves contre un blanc, on ne saurait tenir trop de distance entre les deux espèces. » Sous Louis XV, tout mariage entre un blanc et une femme de couleur, d’une nuance quelconque, fut interdit par le motif que, « cessant d’être ennemis, le mulâtre et le blanc auraient pu s’entendre contre l’autorité métropolitaine… Si, par le moyen de ces alliances, les blancs finissaient par s’entendre avec les libres, la colonie pourrait se soustraire facilement à l’autorité du roi… » — « Il me paraît de grande conséquence, lit-on