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voie la plus prompte et la plus sûre. Elle me le promit et a tenu sa parole.

Mon compte soldé, je refis mes paquets. Descloux vint presque aussitôt avec un voiturier pour faire son marché avec moi. La juiverie de ces gens-là joua son rôle. Je n’allais qu’à deux lieues, et ne pouvais traiter que pour ces deux lieues, ne sachant si je reviendrais, si je resterais ni si j’irais plus loin. Il fallut payer la journée entière de trois chevaux et le retour, en tout 60 francs. Sept heures sonnant, les chevaux étaient mis ; j’étais prêt. Mon jeune officier se fit un peu attendre ; il arriva déjà passablement mouillé. « Monsieur, voulez-vous me remettre les trois paquets cachetés ? » Il ne me dit pas autre chose ; je les lui donnai, il les mit sous son bras, par-dessous sa redingote. Nous descendîmes ; je le fis monter dans la voiture, y montai après lui, et nous prîmes le chemin d’Anet.

Pendant cet intervalle d’une heure, mon esprit, tendu sur ce que j’avais à faire, n’eut pas un moment pour réfléchir et pour penser. Ce que je puis dire, c’est que je n’éprouvai ni trouble ni surprise. De quelque manière que ce fût, il fallait bien que la bombe crevât, et, comme il m’est arrivé dans toutes les circonstances critiques de ma vie, du moment que je m’étais vu livré à un cours de choses sur lequel je ne pouvais rien, mon âme s’était naturellement tenue préparée à tout. La taciturnité imperturbable de mon jeune compagnon de voyage, que j’essayai de vaincre par deux ou trois questions discrètes auxquelles il ne répondit que par des monosyllabes, me laissa le temps de réfléchir. Que voulait faire de moi ce colonel Effinguer, dont je me rappelais fort bien la mine rogue et insolente, et qui avait juré que je ne sortirais pas de la Suisse ? Pourrait-il m’y retenir de sa propre autorité ? et sur quel prétexte ? Insisterait-il sur les prétendus papiers relatifs aux affaires de Suisse que ces marauds de Zurichois m’avaient accusé d’emporter en France ? Ordonnerait-il ou ferait-il lui-même dans tout ce qui m’appartenait des recherches plus rigoureuses ? Elles auraient le même résultat. Enfin s’agirait-il de mon mémoire ? Était-ce là-dessus qu’on m’avait jugé à Berne, et que j’aurais à subir un interrogatoire ? J’étais prêt à le soutenir, et déjà je répondais en idée à ceci, à cela, et je n’oubliais pas de rappeler à ce colonel suisse que nous étions en Suisse, que la Suisse s’était déclarée neutre, qu’elle n’avait donc pas plus à se mêler des affaires de la France, qui ne l’attaquait pas, qu’un Français à se mêler des siennes ; que si l’on avait trouvé dans mes papiers des pièces de l’espèce de celles que de lâches calomniateurs m’avaient accusé d’y avoir, on aurait eu raison de s’assurer de moi et de me traiter comme un homme qui avait abusé de l’hospitalité, mais qu’une pièce qui regardait uniquement les affaires de mon pays, et à laquelle je ne donnais aucune publicité, ne donnait