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pavillon peut se fonder autrement que par les excès d’armemens, et que, dans des circonstances choisies, la bonne organisation balance avantageusement le nombre.

Cette bonne organisation, notre flotte y est-elle arrivée ? Elle en serait loin, s’il faut en croire les censures qui se sont récemment élevées dans le sein du corps législatif. Un député qui représente Toulon[1] a porté contre la marine des accusations qui vont jusqu’à l’amertume. Se rendant l’écho des plaintes et des jalousies dont les corps combattans n’ont jamais su se défendre, il s’est attaqué surtout aux corps administratifs et particulièrement aux ingénieurs. Il leur a reproché de s’isoler des officiers de mer pour produire, dans une sorte de mystère, des bâtimens qui, à l’essai, se trouvent manquer des qualités les plus vitales, les qualités nautiques. D’après lui, nos constructions pèchent par plusieurs points : la hauteur des batteries, les conditions de vitesse, la proportion entre la force de la machine et la contenance de son approvisionnement. À l’appui, les exemples ne lui ont pas manqué. Il a cité la Bretagne, qui, pour ses 1,200 chevaux de vapeur, consomme 120 tonneaux de charbon par jour et n’en peut porter que 400, restant ainsi au dépourvu après quatre-vingt-quatre heures de marche. Dans la vitesse, même disparate : à côté d’appareils de 1,200 chevaux, notre flotte en a qui descendent jusqu’à 140 chevaux, comme ceux du Montebello ; le Louis XIV en a 600, l’Austerlitz 500, le Donawerth, le Saint-Louis, le Fontenoy en ont 450. Il est facile de comprendre les inconvéniens qui s’attachent à cette inégalité de marche entre les vaisseaux. Formés en escadre, ils dépendent les uns des autres, et les plus rapides sont obligés de se mettre au pas des traînards. De là une lenteur de mouvemens qui influe sur le succès des opérations et serait un péril dans un combat. Quant à la hauteur des batteries, le cas est plus grave encore. Nos rivaux ont su donner à leurs batteries des proportions qui assurent en tout temps l’efficacité de leur tir, six ou sept pieds et même plus ; les nôtres ont des proportions moindres. Il s’ensuit que, par une grosse mer, nos batteries basses sont immergées par les sabords, ce qui contraint à les fermer et en éteint les feux, tandis que les batteries ennemies restent ouvertes et gardent leur puissance. Toutes ces défectuosités et d’autres encore auraient pu être évitées, dit-on, si la pratique fût venue en aide à la théorie, et si à des calculs de cabinet on avait joint un peu plus de connaissance de la mer. Les meilleurs juges en matière d’instrumens de bataille sont ceux que leurs fonctions appellent à les manœuvrer et à les conduire.

À ces critiques il y a plusieurs réponses à faire. En traitant de si

  1. M. de Kervéguen.