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tuel état d’enfantement. Elle crée plus qu’elle n’achève ; elle passe d’une conception à l’autre avec une rapidité qui tient du vertige ; l’œil se trouble à la suivre dans ses mouvemens. L’avantage de cette activité est de ne point rester en arrière, l’inconvénient est de ne pas voir le terme du voyage. Là où l’on croyait trouver le repos, on n’a qu’une halte. On prend et on quitte, on s’engoue et on se désenchante ; on est constamment en quête, on ne se fixe à rien ; on multiplie les surprises au point d’amener la lassitude du nouveau. Qu’on jette un regard en arrière et qu’on suive le travail de Pénélope auquel nous assistons depuis quinze ans ! Nous avions alors, de l’aveu des connaisseurs, une très belle flotte, formée par des amiraux exercés, sous l’œil d’un prince qui les animait de ses conseils ou de son influence. Le vaisseau à vapeur arrive ; la voile s’efface, tout est à recommencer. On imagine alors une flotte mixte, comme une sorte de compromis entre le passé et le présent ; en admettant le moteur à feu, on prend à tâche d’en contenir les effets ; on n’y veut voir qu’un accessoire et on en limite strictement le degré de puissance. Les transformations se poursuivent dans ce sens ; elles ne sont point achevées qu’on passe à une révolution nouvelle. Les petits bâtimens. prennent alors le pas sur les gros : on délaisse la flotte pour se porter vers les flottilles ; ces flottilles suffiront à tout, elles feront merveille, la faveur est de ce côté. L’argent et les bras appartiennent désormais aux canonnières et aux batteries flottantes ; on met sur les chantiers 5 batteries flottantes et 53 canonnières, en même temps qu’une escadre de transports ; on aura ainsi la monnaie d’une flotte. Puis, quand on s’aperçoit que ces canonnières et ces batteries flottantes sont de tristes instrumens de navigation, qu’au moindre gros temps elles tournent leur quille en l’air et ont constamment besoin de remorque, on en revient au principe, qu’on n’aurait jamais dû perdre de vue, que le vaisseau de ligne fortement armé et animé d’une grande vitesse est la seule, la véritable base d’une flotte qui veut tenir la mer, attaquer et se défendre, assurer le respect du pavillon. C’est à ce retour d’opinion que nous devons la série de nos vaisseaux à hélice dans leurs plus beaux modèles. Est-on au bout ? Le but est-il atteint ? Nullement. L’invention haletante se remet à la poursuite des nouveautés. Il semble expédient de rendre nos grandes machines de guerre invulnérables et d’ajouter à leurs murailles de 45 à 55 centimètres de bois une armure de 11 à 13 centimètres de métal. De là nous viennent les frégates cuirassées, les béliers à vapeur, comme les nomment les Anglais, et c’est de ce côté que se portent aujourd’hui la vogue et le principal effort.

Ces frégates cuirassées tiendront-elles ce qu’on s’en promet ? auront-elles tout l’effet qu’on annonce ? Il est impossible de le dire en connaissance de cause. Deux seulement sont à flot, la Normandie